Pascal Lamy, économiste et ex-directeur général de l'OMC, se confie sur l'avenir du pays.
Décideurs. Dans votre ouvrage Quand la France s'éveillera, vous présentez volontairement le monde comme source de richesses diverses à saisir. La France est-elle en train de passer à côté ?

Pascal Lamy. Dans cet ouvrage, je tente de démontrer que la mondialisation n’est ni un dieu ni le diable. Ni un dieu dont je serais l’apôtre, ni un diable dont il faudrait se délivrer. À bien des égards, la France est mondialisée dans son corps mais pas dans sa tête, d’où une sorte de névrose. La France porte dans ses gènes une ambition mondiale ; des multinationales françaises réussissent partout sur la planète. Et pourtant l’esprit public considère ce monde comme une menace. Je vois dans cette contradiction l’origine des blocages qui rendent notre pays réfractaire aux réformes nécessaires que d’autres pays comparables ont conduit avec succès, sans pour autant mettre à bas leur modèle social. Faute de parvenir à surmonter ces difficultés, je crains que notre pays ne poursuive une dérive lente entamée depuis plusieurs décennies.

Décideurs. Les effets du pacte de responsabilité ne vont pas se faire sentir immédiatement. L’attente est-elle le prix à payer pour sortir la France du marasme actuel ?

P. L. Notre pays souffre de maux accumulés depuis longtemps et qui forment un nœud complexe : déficits des finances publiques, chômage de masse, perte de compétitivité. Les traiter prendra du temps, disons entre cinq et dix ans. Raison de plus pour ne pas tarder !

Décideurs. Comment expliquez-vous que la mondialisation soit aussi honnie par notre gouvernement ou certains de ses membres ? Que leur diriez-vous ?

P. L. Voir dans la mondialisation la source de nos problèmes est une facilité à laquelle tous les gouvernements ont peu ou prou cédé depuis un bon moment. Je crois qu’il est temps de changer ce récit public car il a pour effet de tétaniser plutôt que de mobiliser.

Décideurs. Les mesures gouvernementales prises pour relancer l'attractivité de la France auprès des investisseurs vont-elles dans le sens du réveil français que vous préconisez ?

P. L. Certes. Mais il faudra de la constance et du temps pour remonter la pente et faire valoir à nouveau les avantages comparatifs qui ont toujours soutenu les flux d’investissements étrangers : position géographique pour accéder au grand marché européen, moindre vieillissement de la population que chez nos voisins, productivité par tête, qualité des infrastructures logistiques et éducatives, diversité et permanence des traditions culturelles.

Décideurs. Pensez-vous qu’un bras de fer avec Bruxelles, notamment avec le choix d’Arnaud Montebourg à la tête du ministère de l’Économie, a débuté ?

P. L. Nous nous sommes donnés volontairement des disciplines communes en Europe. Bruxelles, c’est nous tous, les Européens ! On ne fait pas un bras de fer avec soi-même.

Décideurs. François Hollande a décidé d'ajouter une baisse de dix milliards d'euros supplémentaires sur les charges à la fois sur les bas salaires (emploi) et sur les hauts salaires (compétitivité). Un unique abaissement des charges sur les hauts salaires était-il préférable ?

P. L. Tout dépend de l’horizon temporel auquel on se réfère. S’il s’agit d’obtenir un effet immédiat et temporaire sur le chômage, les baisses de charges sur les bas salaires se justifient. S’il s’agit de retrouver de la compétitivité à l’internationale, garantie d’une augmentation durable de l’emploi, une réduction du coût du travail dans les secteurs plus qualifiés est préférable. N’oublions pas que compte tenu des perspectives de croissance européenne dans la décennie à venir, l’essentiel du supplément de demande adressé à nos entreprises proviendra des pays émergents. C’est d’abord là qu’il nous faut aller chercher une croissance qui fera baisser le chômage. C’est à mon sens aux partenaires sociaux qu’il appartient de négocier en toute connaissance de cause le bon dosage entre ces deux options.


Quand la France s'éveillera de Pascal Lamy (Odile Jacob, 176 pages, 17,90 €)