Le nouveau commissaire général à l'investissement dévoile son plan de route.
Décideurs. Vous avez récemment succédé à Louis Gallois à la tête du commissariat général à l’investissement. Pouvez-vous nous retracer l’histoire de cette administration ?
Louis Schweitzer.
Le commissariat à l’investissement est né d’une initiative de Nicolas Sarkozy qui a, en 2010, a voulu préserver et renforcer les investissements d’avenir, alors que la tendance naturelle aurait été de les sacrifier sur l’autel de l’austérité budgétaire. Des investissements qui sont, en pratique, financés grâce à ce que l’on a appelé le « grand emprunt ».
Dans une volonté de dépasser la bipolarité de la vie politique française, Il a confié à une commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard le soin d’établir le programme d’action, appelé programme d’investissement d’avenir (PIA), et le commissariat général à l’investissement dont la vocation est de mettre en œuvre ce programme. Aujourd’hui encore, Le commissariat général à l’investissement s’inscrit dans la continuité de leurs idées. Aucune rupture n’a ainsi été constatée, et ce malgré l’alternance. Mieux, la première enveloppe du PIA de 35 milliards d’euros a été abondée de 12 milliards supplémentaires par la nouvelle majorité.

Décideurs. Quelles sont vos priorités d’investissement ?
L. S.
L’une de nos principales volontés est d’inciter les universités à se regrouper et à mettre en commun leur activité avec les grands organismes de recherche, comme cela peut être le cas pour les communautés d’universités et établissements (ComUE). Ce projet est d’une importante stratégique cruciale car les universités sont des centres de recherche extraordinaires mais demeurent hélas encore trop fragmentées.
Nous avons également l’ambition de favoriser le transfert de l’activité de recherche universitaire théorique vers l’innovation économique à travers l’émergence d’organismes spécialisés. C’est notamment le sens de nos investissements en faveur du développement des instituts de recherche technologique (IRT), qui rapproche la recherche universitaire de la recherche menée par les entreprises.
Notons, en outre, que le grand emprunt est venu en appui de trente-quatre plans industriels initiés par Arnaud Montebourg et soutient, plus généralement, de nombreuses actions de modernisation industrielle en faveur de projets de transition énergétique, de politique de la ville ou de l’apprentissage.

Décideurs. Comment sont sélectionnés les projets ?
L. S.
Si la décision finale revient au Premier ministre, les dossiers sont étudiés par le commissariat général à l’investissement et font l’objet d’une procédure interministérielle. Les équipes du commissariat général à l’investissement sont composées d’une trentaine de personnes de très haut niveau. Nous nous appuyons sur l’expertise de certains opérateurs spécialisés dans leurs domaines d’intervention tels que l’Ademe dans le secteur de l’énergie, l’Anru pour celui de la rénovation urbaine ou encore la BPI pour les entreprises. La procédure de sélection de projets vise l’innovation et réclame donc une exigence toute particulière d’objectivité et d’excellence.

Décideurs. Comment se concrétise le soutien aux projets qui ont été sélectionnés ?
L. S.
Le soutien que nous apportons aux différents acteurs économiques peut prendre la forme de subventions, d’avances remboursables en cas de succès, de prêts bonifiés ou de dotations en capital pour une enveloppe globale de 47 milliards d’euros. Si les secteurs concernés sont nombreux, ils ont tout de même un trait en commun : l’innovation. 30 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés et 17 milliards restent à investir.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur l’action de la Banque publique d’investissement (BPI) ?
L. S.
La BPI est pour nous un opérateur et un partenaire.
Un opérateur, car elle intervient dans le cadre de la sélection des projets industriels qui nous sont présentés. La BPI dispose, en effet, de tout le savoir-faire requis pour évaluer la solidité d’une entreprise et étudier avec la plus grande précision son business plan.
La BPI est également un partenaire car elle peut, avec ses propres deniers, investir à nos côtés.
L’institution dirigée par Nicolas Dufourcq est d’ailleurs en train de se faire une place de choix dans le secteur du capital-investissement. De par son sérieux et sa réactivité, elle est, en outre, devenue un interlocuteur très apprécié des entreprises.

Décideur. De manière plus générale, quelles mesures préconisez-vous pour soutenir la croissance des entreprises françaises ?
L. S.
Les entreprises françaises ont surtout besoin de partenaires prêts à prendre des risques à leurs côtés. Malheureusement, une entreprise qui ne dispose pas d’un historique solide est souvent confrontée à de nombreuses difficultés pour continuer sa croissance. Il faut donc favoriser le développement du capital-risque. Comme le disait très justement Edgard Faure : « il n’y a pas de politique sans risques, mais il y a des politiques sans chance ».
La France dispose, par exemple, à travers le crédit d’impôt recherche (CIR) d’un outil extraordinairement puissant. Grâce à ce levier, la recherche en France se positionne comme l’une des plus compétitives du monde. Mais pour continuer leurs investissements, les entreprises ont besoin d’être assurées que l’on ne touchera pas un seul cheveu de ce dispositif. En investissant dans un centre de recherche, elles s’engagent, en effet, sur un horizon de cinq à dix ans et doivent donc être certaines que la législation demeurera stable durant tout ce laps de temps. Un risque d’instabilité fiscale atténuerait grandement l’efficacité de ce type de dispositifs.

Décideurs. L’instabilité juridique et fiscale n’a-t-elle pas fait fuir les investisseurs étrangers ?
L. S.
Pour les grandes entreprises, le problème est moins important, car elles disposent d’équipes nombreuses sur le plan juridique et fiscal pour pouvoir optimiser le cadre légal qui leur est applicable et assurer une veille juridique efficace. Ce n’est pas le cas des PME et l’instabilité et la complexité créent, pour elles, un climat de découragement. Les propositions de la commission Mandon-Poitrinal sur la simplification des formalités administratives vont à ce titre dans le bon sens. Quand je regarde autour de nous et notamment en Allemagne, je m’aperçois qu’il y a un dialogue constant entre l’État, les entreprises et les partenaires sociaux. Ces échanges ont permis d’instaurer un climat de confiance qui rejaillit sur l’activité économique du pays.

Décideurs. À l’heure où les banques font preuve d’une très grande aversion aux risques, quelles solutions de financement reste-t-il aux start-up et aux entreprises en phase de démarrage ?
L. S.
Nous avons mis en place un système d’aide aux start-up. Entre le moment ou le projet de l’entreprise a été présenté au jury et le moment où l’entreprise a perçu les fonds, il s’est écoulé moins de trois mois. Dans un premier temps, nous avons aidé 56 entreprises puis, dans un second temps, ce sont 44 autres structures qui bénéficieraient de notre soutien.
Chacune d’entre elles a ainsi reçu 200 000 euros de subventions. Certaines pourront percevoir dans un second round près de deux millions supplémentaires. Enfin, un troisième round est également prévu pour celles qui auront continué à se développer. Cette nouvelle fenêtre d’investissement leur ouvrirons droit à une avance de 20 millions d’euros. Une avance qui ne sera remboursée qu’en cas de succès. Est-ce pour autant suffisant ? Bien sûr que non. Nous souhaiterions associer davantage les grandes entreprises aux financements des PME et des start-up.

Décideurs. Le décret initié par Arnaud Montebourg soumettant à autorisation préalable certains investissements étrangers ne risque-t-il pas d’envoyer un nouveau signal négatif aux investisseurs ?
L. S.
Tout dépend de l’application qui en sera faite. Si le résultat final est le fruit d’une discussion intelligente et constructive, alors cela ne posera, à mon sens, aucun problème majeur. Ce type de procédure n’a que peu d’incidence sur la décision d’investissement et l’exemple de la Chine est là pour nous le rappeler. Par contre, si la gestion des dossiers est arbitraire, alors effectivement les conséquences pourront être néfastes. Mais cela ne paraît pas être le cas dans le dossier Alstom par exemple où les échanges sont très professionnels.

Propos recueillis par Aurélien Florin

Photo : ©Christophe Chavan, Matignon