Les catastrophes naturelles gagnent en fréquence et en intensité. La crise de  Fukushima ou les inondations en Thaïlande ont pointé l'exposition particulière des supply chains.
Des vingt catastrophes naturelles les plus coûteuses de l’histoire de l’assurance, dix sont survenues depuis 2001. Les catastrophes naturelles ont des impacts croissants en termes de pertes humaines et matérielles (270 milliards d’euros en 2011 selon Swiss Re), mais également des implications économiques et en termes de couverture d’assurance. Il est plus aisé de couvrir une catastrophe si sa fréquence de réalisation est faible. Or ces événements voient à la fois leur fréquence et leur ampleur augmenter.

Si la médiatisation accroît la conscience des événements naturels, c’est aussi que leurs répercussions sont internationales, témoins criants de la mondialisation. Les inondations qui ont sévi en Thaïlande fin 2011 ont sévèrement touché l’industrie électronique en arrêtant 14 000 usines. Un quart environ de la production mondiale de disques durs est affectée, une augmentation des prix de 100 % est envisagée pour la fin de l’année, et les effets de la crise pourraient se faire sentir tout au long du premier semestre 2012. L’industrie automobile, quant à elle, a été particulièrement frappée par les conséquences du tsunami japonais en mars 2011.

D’importantes ruptures d’approvisionnement ont immobilisé des usines entières aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Pologne, en France ou en Turquie. Fin mars 2011, 5 000 ouvriers des usines PSA sont au chômage technique : une pièce indispensable à la production d’un moteur provient exclusivement d’une usine située dans la zone sinistrée. « Pour le groupe PSA, la crise du Japon représentait une situation de rupture d’approvisionnement exceptionnelle et inégalée, située au niveau des fournisseurs de fournisseusr. Ses conséquences ont été évaluées par la direction financière du groupe à 147 millions d’euros », témoigne Pierre-Olivier Salmon, porte parole de la direction du groupe. Chômage technique, tensions sociales, rupture de supply chain et perte d’exploitation sont autant de conséquences en chaîne d’une catastrophe naturelle sur l’activité économique internationale.

Supply chain


Ces phénomènes sont symptomatiques d’une économie mondialisée, qui saisit les opportunités d’un continent ou d’un autre indifféremment et qui en subit les interconnexions des contraintes et menaces. Le risque de défaillance de fournisseur est devenu prégnant du fait de cette mondialisation et proéminent du fait de la multiplication des catastrophes naturelles. « L’accroissement des catastrophes climatiques et la concentration de l’industrie se sont traduits par une augmentation des sinistres par leurs effets directs ou indirects, témoigne Dominique Brossais, directeur général de Naudet DB&A, experts en assurance spécialisés en sinistres industriels, une catastrophe locale peut avoir aujourd’hui un retentissement mondial avec de graves conséquences économiques pour les industriels. Les assureurs ont couvert ce risque, en proposant des garanties carence de fournisseurs ou clients (Contingency Business Interruption), mais cette réponse ne peut être complète en terme de couverture ou de risques. Les standards d’assurance diffèrent selon les pays et l’exposition aux risques. Par exemple il est très difficile d’obtenir une garantie tremblement de terre au Japon, et elle sera limitée à de faibles capitaux.»

Gilbert Canameras, président de l’Amrae, désigne ainsi le risque de catastrophe naturelle comme l’une des préoccupations majeures des risk managers, pour ses effets sur une chaîne d’approvisionnement en flux tendu et sur les garanties des compagnies d’assurance. « La question de la résilience de la supply chain aux événements catastrophiques ne relève plus uniquement de la gestion de risque mais bien d’une question stratégique : comme dirigeant d’entreprise, qu’avez-vous fait au cours des six derniers mois pour vous assurer que l’entreprise restera debout par rapport à sa concurrence, pourra protéger ses parts de marché et en gagner d’autres ? » interroge Erwann Michel-Kerjan, expert français dirigeant le Center for Risk Management à la Wharton Business School. La multiplication des catastrophes naturelles, leur fréquence et leur force risquent d’entraîner une réduction des limites de capacités et de garanties des assurances, ainsi qu’une augmentation des primes. « Il s’agit moins de capacité d’assurance que de prix : la capacité perdure mais, si le risque s’accroît, les prix augmentent. Les prix de réassurance attachés aux ouragans en Floride ont augmenté de 100 % après Katrina ! Il s’agit plus de préserver une offre d’assurance la moins chère possible pour les entreprises. Certaines optent pour des solutions privées internes, en créant leurs propres captives » nuance Erwann Michel-Kerjan.

Cumul de garanties


L’extension de la garantie de perte d’exploitation à la carence de fournisseurs génère pour l’assureur un risque de cumul, pouvant potentiellement générer une limitation des volumes de capacités accessibles. La multiplication des catastrophes naturelles mettent les assureurs face à une addition des couvertures de pertes d’exploitation : certaines productions ont été déplacées en Asie du Sud-Est après les événements japonais, en particulier en Thaïlande. Après avoir dû couvrir la perte d’exploitation liée aux événements japonais, il leur faut à présent couvrir celle due aux inondations en Thaïlande. S’ajoute à cela le fait que les objectifs de production, notamment pour l’industrie électronique, ont potentiellement été augmentés en prévision des fêtes de fin d’année, ce qui engendre des coûts supplémentaires pour les compagnies. Elles commencent à tirer la sonnette d’alarme.

« Une prise de conscience internationale très forte émerge ces dernières années : celle d’une vulnérabilité accrue directe et indirecte aux catastrophes de toute sorte. Il est crucial pour de se poser la question de la préparation de l’entreprise vis-à-vis de ces vulnérabilités, de les quantifier, et de tester des scénarios critiques et plausibles. Attention cependant à ne pas se tromper de combat : l’avenir ne se résume pas au risk management, celui-ci fait partie de la stratégie fondamentale de l’organisation, et pas l’inverse » conclut Erwann Michel-Kerjan.


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Wharton Business School : Prestigieuse université américaine. Le « Center for Risk Management » comprend une équipe dont l’expertise sur la gestion des risques extrêmes est mondialement reconnue.