Le 17 mai 2023, les sociétés lyonnaises Bouygues Bâtiment Sud Est et Linkcity Sud Est se sont engagées à verser une amende de 7 964 000 euros au Trésor public à l’issue de négociations avec le parquet national financier. Cette CJIP - la 17ème signée par le PNF - met un terme à l’affaire de corruption dans le cadre de marchés avec le centre hospitalier Annecy Genevois (le Change) qui avait donné lieu à l’ouverture d’une enquête le 17 décembre 2021.
Deux filiales du groupe Bouygues signent une CJIP à 7,9 millions d’euros
7 964 000 euros. C’est le montant négocié entre le Parquet national financier et deux filiales lyonnaises du groupe Bouygues pour éteindre l’action publique, déclenchée pour des faits de corruption active. Bouygues Bâtiment Sud Est et Linkcity Sud Est ont signé, le 17 mai dernier, la 17e CJIP. Ni coupables ni condamnées pénalement, les entreprises mettent fin à l’enquête pour corruption ciblant la passation de marchés publics avec le centre hospitalier Annecy Genevois (le Change) et son directeur général de l’époque Nicolas Best.
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Entre 2016 et 2018, Bouygues Bâtiment Sud-Est, opérateur global de Bouygues Construction, sous-groupe de Bouygues, et Linkcity Sud Est, sa filiale de promotion immobilière, concluent en effet avec le centre hospitalier Annecy Genevois (le Change) deux marchés publics (pour 32 millions d’euros HT et 3,3 millions d’euros HT) portant sur la construction du bâtiment de soins de suite et de réadaptation (SSR) et d’unité de soins de longue durée (USLD) à Annecy. Des marchés juteux qui assurent au constructeur-promoteur des travaux de construction et des terrains à acquérir. Mais la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône Alpes (CRC ARA) met le doigt sur des manquements aux règles de la commande publique dans la passation de ces marchés lors de sa revue du contrôle de gestion du Change. Elle transmet ses observations au parquet d’Annecy qui renvoie immédiatement l’affaire au Parquet national financier. La police judiciaire lyonnaise lance une enquête le 21 décembre 2021. Des perquisitions sont menées un mois plus tard, le 10 février 2022.
Marché truqué
L’enquête révèle qu'il n'y a pas eu égalité de traitement entre les candidats dans la commande publique. Nicolas Best, du haut de son siège de président du jury chargé d’attribuer les marchés en question, et qui a bénéficié entre 2015 et 2018 de divers avantages de la part des filiales lyonnaises de Bouygues, a favorisé Bouygues Bâtiment Sud-Est, notamment pour la construction en conception-réalisation du bâtiment SSR et USLD à Annecy. L’enquête montre que le jury n’a pas tenu compte de l’ensemble des critères de sélection prédéfinis, notamment le prix et le délai qui devaient constituer 40% de l’appréciation finale des candidatures. Bouygues Bâtiment Sud-Est a remporté le marché sur la base du seul critère de la qualité architecturale. Un critère normalement pondéré à 15% de l’appréciation finale. Selon le parquet national financier, “le groupement mené par Bouygues Bâtiment Sud-Est était classé en première position sur des considérations uniquement architecturales (…) alors que dans les documents d’analyse préparatoire formalisés par les services du centre hospitalier, il était classé en cinquième et dernière position sur les seuls critères du prix et de réalisation.” Les combines ne s’arrêtent pas là. Le Change et la société Bouygues Bâtiment Sud-Est ont contourné les règles de publicité et de mise en concurrence des marchés publics pour la construction d’un bassin de rétention sur un terrain appartenant au Change. Sans qu’aucune urgence ou aucun autre motif ne puisse justifier cela. Une convention signée par le directeur du Change, et qui se chiffrait à 3,3 millions d’euros.
Festival “Piano Lyon”
Pour la construction de l’unité de soins de longue durée sur le site d’Annecy, le Change avait décidé de céder un terrain dénommé “la tonnelle”. Là encore, c’est l’offre de Linkcity Sud-Est qui a été retenue alors même qu’elle était le moins-disant des douze projets reçus. La filiale de Bouygues a pu racheter au Change une partie du terrain valorisé par le service France Domaine à 7,2 millions pour la somme de 5,5 millions, l’autre partie à 10,5 millions au profit d’un tiers.
Corruption oblige, ces opérations n’ont pas été favorisées pour les beaux yeux du groupe Bouygues. Les enquêteurs ont pu établir que Nicolas Best était invité régulièrement au restaurant par les sociétés Bouygues Bâtiments Sud-Est et Linkcity Sud-Est à l’époque des appels d’offres biaisés. Le directeur général de l’hôpital a réussi par ailleurs à leur soutirer douze places de concert au festival “piano à Lyon”.
Pour les sociétés en cause, les avantages tirés des infractions pénales reprochées représentent la somme de 5 943 000 euros. L’implication d’un directeur général d’hôpital public et l’envergure mondiale de l’entreprise alourdissent la peine. Toutefois, le parquet souligne la coopération active des mis en cause, les mesures correctives prises pour la politique des cadeaux à destination des clients et l’amélioration spontanée du programme de conformité. Bouygues Bâtiment Sud Est devra pourtant se soumettre à un programme de mise en conformité sous contrôle de l’AFA d’une durée de trois ans. Une promesse à respecter dont le coût s’élève pour l’entreprise à 1,3 million (1 337 000 euros TTC).
Anne-Laure Blouin
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