Tierra Digna, une ONG colombienne, adresse une mise en demeure à trois grandes banques françaises – BNP Paribas, Crédit agricole et BPCE, de cesser de financer l’entreprise anglo-suisse Glencore, géant de l’extraction minière. L’enquête menée par la cellule investigations de Radio France met en lumière les dissonances entre les promesses des banques en matière d’environnement et leurs pratiques.

“Un monde qui change.” C’est ce qu’on entend dans une publicité de BNP Paribas. Pour autant, il semblerait bien que la banque n’ait pas encore changé ses habitudes, tout comme ses concurrentes BPCE et Crédit agricole et continuent de contribuer au financement d’activités ultra polluantes pour l’homme et la planète. Alors, c’est sur le fondement du devoir de vigilance qu’une ONG colombienne nommée Tierra Digna les a mis en demeure de cesser de financer le géant minier Glencore. Tierra Digna, basée à Bogota, a lancé sa mise en demeure depuis la Colombie, assistée de son avocat français, maître Emmanuel Daoud.

Financement à travers des actions et des filiales

Les banques mises en cause détiennent des actions de certaines filiales de la compagnie pétrolière : plus de 92 millions de dollars pour Crédit Agricole à travers Amundi, 7 millions pour BNP Paribas Asset Management, 821 millions de dollars en actions et 182 millions en obligations pour BPCE. “Leur engagement chez Glencore ne se limite pas à des investissements en actions et en obligations. Elles lui prêtent aussi de l’argent", explique Nathan Guillot, analyste politique à Reclaim Finance. Il serait ainsi question d’un prêt de 46,4 millions de dollars accordé à Glencore par le Crédit agricole. La BNP aurait financé à la même hauteur le minier. Ce type de prêt passe par des filiales selon Nathan Guillot. Pour éviter d’entacher leur réputation, les banques ne financent pas directement des entités dont l’activité se rapporte à l’extraction minière. Le résultat demeure le même. Dans un rapport Banking on Climate Chaos 2023, on comprend que ces prêts sont susceptibles d’avoir financé des activités dans le secteur minier.

Coûts de décontamination à la charge de la collectivité

Pour l’ONG, qui a réalisé un travail de documentation pendant plusieurs années, financer Glencore revient à contribuer à la pollution des sites colombiens – les mines de Calenturitas et de la Jagua, dans laquelle l’entreprise s’est retirée, avant de se retirer en 2021, faute de rentabilité, après vingt-cinq ans d’exploitation. Glencore laisse derrière lui des rivières polluées par le plomb, dont l’eau n’est plus potable, des populations sujettes à des maladies respiratoires, à des cancers du poumon et de l’estomac et à des maladies dégénératives. Et près de 6200 travailleurs sur le carreau. Un scénario qui a un goût de déjà vu puisque l’entreprise avait déjà fermé du jour au lendemain une usine du Pas-de-Calais, Metaleurop, avec à la clef 831 salariés licenciés et d’énormes coûts de décontamination du site pollué par la dioxine et le plomb laissés à la charge de la collectivité. Jacques Chirac, alors président de la République, avait dénoncé des “méthodes de patrons voyous”.  Selon Emmanuel Daoud, “il est de la responsabilité des banques françaises d’y mettre fin en faisant pression sur Glencore. Elles en ont les moyens.”

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Interrogées, BNP Paribas et Crédit agricole répondent par des projections à vingt ans. Crédit agricole promet de sortir “définitivement de l’industrie du charbon thermique dans les pays de l’OCDE en 2030 et d’ici 2040 pour le reste du monde”. Pour la BNP, ce sera “d’ici 2030 dans les pays de l’OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde”. Le groupe considère que son exposition au secteur du charbon “n’est plus que résiduelle”. Crédit agricole affirme avoir coupé les financements avec Glencore en attendant “une clarification de leur position sur le charbon”.

Notre affaire à tous, Oxfam, Les Amis de la Terre avaient déjà assigné la banque BNP Paribas le 23 février 2023 en raison de son implication dans le financement des nouveaux projets fossiles. Les associations requérantes attendent de la justice qu’elle constate le manquement de la banque à son devoir de vigilance et qu’elle fasse cesser le préjudice écologique qui en découle. Justine Ripoll l’avait prédit "ce premier contentieux climatique contre une banque commerciale est sans aucun doute le premier d’une longue série,  partout dans le monde".

Anne-Laure Blouin

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