Les textes français et européens se multiplient depuis une quinzaine d’années pour pousser les entreprises à se montrer plus vertueuses, que ce soit en matière d’émissions de gaz à effet de serre, de gestion de l’eau ou de biodiversité. Et les législateurs ont encore du pain sur la planche.

Le 18 avril, les eurodéputés votaient cinq textes clés pour atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris. Les parlementaires du Vieux Continent se sont mis d’accord sur la taxe carbone aux frontières, l’extension du marché carbone aux particuliers et au secteur aérien mais aussi sur la création d’un fonds social pour le climat ainsi que sur la fin des quotas gratuits. En tout, douze des quatorze lois européennes conçues pour limiter les gaz à effet de serre sont adoptées ou en passe de l’être. L’un des chantiers encore en cours concerne la taxation de l’énergie. Or, sur les questions fiscales, les États membres doivent s’entendre à l’unanimité, ce qui pourrait retarder la validation complète du grand Pacte vert voulu par l’Europe. Les délais ne sont, certes, jamais une bonne nouvelle pour la planète mais l’UE et la France se montrent ambitieuses en matière environnementale en comparaison avec les avancées américaines et asiatiques sur le sujet. "Nous avons une réglementation environnementale très développée en France, estime Carine Le Roy-Gleizes, avocate associée spécialisée en environnement chez Foley Hoag. Nous ne pouvons pas dire que nous soyons les suiveurs d’une réglementation internationale." Et ce, même si certains textes internationaux ont été fondateurs, tels que l’accord de Paris mais également le protocole de Montréal de 1985, la déclaration de Rio de 1992 ou encore le protocole de Kyoto de 1997.

Il était une fois il y a bien longtemps

Les réglementations françaises et européennes convergent puisque environ 85 % des textes hexagonaux auraient pour origine des applications de règlements ou des transpositions de directives de l’UE. Les premières avancées datent des années 1970. Parmi elles, la réglementation sur les installations industrielles qui vise les exploitations dans lesquelles sont utilisées des substances ou exercées des activités qui présentent des dangers ou des inconvénients pour l’environnement, la sécurité ou la santé. Ces ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) sont en pratique souvent soumises à une étude d’impact environnemental. "Les entreprises, pas uniquement industrielles, doivent remplir des dossiers assez significatifs qui comprennent tout l’examen de l’état initial du terrain, les conséquences des projets et les mesures qui seront prises par les opérateurs pour éviter, réduire et compenser les impacts", explique Carine Le Roy Gleizes. Si ces obligations sont créées par une loi datant de 1976, elles ont évolué et se sont enrichies avec le temps.

Nouveaux enjeux

Autre sujet traité par le législateur : la gestion de l’eau. « Historiquement, l’encadrement portait sur la gestion qualitative des prélèvements et des rejets de l’eau », rappelle Carine Le Roy-Gleizes. Pour mieux faire face aux épisodes de sécheresse, la législation s’intéresse désormais davantage à la gestion quantitative de cette ressource. "Les entreprises vont devoir montrer qu’elles utilisent l’eau à bon escient." La biodiversité est aussi de plus en plus sous le feu des projecteurs.

"Nous avons une reglementation environnementale très avancée en France"

Dans le cadre des réglementations visant à protéger les espèces menacées, les activités pouvant porter atteinte à ces espèces (des listes françaises et communautaires ont été dressées) ne peuvent être exercées, sauf dérogations. Et celles-ci s’avèrent difficiles à obtenir compte tenu des conditions à remplir et font l’objet très souvent de contestations. "L’attention portée à la préservation de la biodiversité s’est renforcée ces dernières années, précise l’associée de Foley Hoag. Il y a une grande activité jurisprudentielle avec des projets significatifs remis en question pour leurs impacts sur la biodiversité." Les législateurs s’intéressent également à la gestion des déchets produits par les entreprises dans l’exercice de leurs activités mais aussi à la manière dont ceux-ci sont valorisés une fois que le consommateur ne les utilise plus. Là encore, les textes évoluent depuis 1975, année où a été instauré le principe du "pollueur-payeur", et poussent davantage de secteurs vers ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie circulaire.

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Approche globale

"Nous sommes passés d’une logique où l’on réglementait secteur par secteur avec une finalité particulière à une approche globale du droit de l’environnement, constate Carine Le Roy-Gleizes. Les obligations environnementales ont maintenant une résonance dans d’autres réglementations." Et de citer le Code civil qui comporte désormais des dispositions sur la réparation du préjudice écologique. "Les auteurs parlent d’une écologisation du droit privé", ajoute l’avocate. Ainsi, les questions environnementales se retrouvent dans les problématiques financières et d’investissements, notamment avec la taxonomie européenne, mais aussi dans le droit de la commande publique (avec des acteurs qui doivent montrer qu’ils s’intéressent à la question) ou encore dans le droit de la consommation.

Le poids des ONG

Les textes doivent une grande partie de leurs avancées aux ONG. En France, celles-ci ont le droit d’agir en justice pour la protection de l’environnement. Les organisations influent également sur les textes. Elles ont par exemple participé aux négociations de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique ou étaient présentes lors de la Cop21. La recherche scientifique pèse également sur l’évolution des réglementations. Par exemple, des changements de lois sont attendus sur les substances chimiques contenues dans les produits et sur le devenir de ces produits. Des États comme l’Allemagne, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège militent pour interdire les polluants dits éternels, les PFAS. "Une partie de l’évolution des réglementations est liée aux évolutions scientifiques qui permettent de caractériser la présence de ces substances et de commencer à évaluer leurs effets sur l’environnement et la santé", note Alice Messin-Roizard, également avocate chez Foley Hoag.

"Les auteurs parlent d'une écologisation du droit privé"

Travaux en cours

La législation est encore loin d’être figée. En 2021, la France promulguait la loi climat. Par son approche transversale, le texte s’intéresse tant au greenwashing qu’au renforcement des sanctions pénales en cas d’infraction ou à l’évolution du rôle des représentants du personnel en matière de dialogue social et de stratégie environnementale. Actuellement, le gouvernement français avance sur son Plan eau, présenté il y a quelques semaines. Un projet de loi sur l’industrie verte est également sur la table. Pour sa part, Bruxelles poursuit son travail. Soit en œuvrant à la refonte de directives de première génération dont elle dresse un bilan pour voir comment améliorer les textes, soit en allant sur des terrains encore inexplorés par le droit communautaire. L’un des enjeux qui pourraient être traités porte sur la question de la pollution plastique. Des négociations internationales sont en cours. "On aimerait qu’elles aboutissent à un traité qui ait la même force que l’accord de Paris", espère Carine Le Roy-Gleizes. Les entreprises doivent se préparer à continuer à ajuster leurs pratiques.

Olivia Vignaud