De la salle des pas perdus à l’hôtel de Bourvallais, il n’y avait, pour Éric Dupond-Moretti, qu’un pas à sauter. L’ex-pénaliste, entré au gouvernement en juillet 2020 et depuis mis en examen pour prise illégale d’intérêts, conserve sa place de Garde des Sceaux.

Dans une autre vie, il dominait les prétoires. Puis, un jour de juillet 2020, le pénaliste aux 140 acquittements a rangé la robe. Après trente-six ans d’avocature et zéro de politique, Éric Dupond-Moretti s’est installé place Vendôme. Il va y rester. Certains, pourtant, le pensaient sur le départ. Pas pour les législatives – l’entourage du ministre, candidat malheureux des régionales dans les Hauts-de-France en juin 2021, a annoncé début mai qu’il ne serait pas sur les listes. Mais parce qu’il y a dix jours, le procureur général François Molins a demandé le renvoi du Garde des Sceaux de 61 ans devant la Cour de justice de la République. L’ex-ténor du barreau est mis en examen depuis juillet 2021 pour prise illégale d’intérêt, soupçonné d’avoir profité de ses nouvelles fonctions pour régler des comptes avec des magistrats croisés lorsqu’il portait encore la robe.

"Avec les magistrats, le fossé se creuse"

Avec eux, le fossé se creuse. Quand Éric Dupond-Moretti se félicite d’avoir obtenu une hausse historique du budget pour la Justice – 8,2 milliards pour 2021 –, les juges y voient de l’esbroufe. Ils sont 7 000 magistrats, greffiers et avocats à avoir signé, fin 2021, une tribune dans Le Monde pour dénoncer leurs conditions de travail et exiger davantage de moyens. Une journée de mobilisation nationale a suivi, malgré l’interdiction du droit de grève dictée par la profession. Il faut dire que dès son arrivée au ministère, le Garde des Sceaux avait donné le ton. Un nom à donner pour prendre la tête de l’École nationale de la magistrature ? Éric Dupond-Moretti choisira une ancienne consœur, l’avocate Nathalie Roret. L’Union syndicale des avocats parlera de “diversion”, affirmera que “le ministre se vautre dans le conflit d’intérêts” – à l’époque, l’affaire des “fadettes" et du Parquet national financier secouait la grande famille du droit.

Balkany et Merah

Éric Dupond-Moretti clive. Sa carrure impressionne, sa “grande gueule” et son faible pour Georges Brassens séduisent les classes plus populaires. Certains admirent l’éloquence de l’avocat, d’autres ont grincé des dents quand il a accepté de défendre Patrick Balkany, Yvan Colonna, la boulangère d’Outreau ou Abdelkader Merah. Mais Éric Dupond-Moretti est un pénaliste. Il a le droit de la défense chevillé au corps, aurait plaidé pour Klaus Barbie et même Hitler “s’il [lui] l’avaient demandé”. Il connaît les cours d’assises par cœur. C’est même là qu’il a rencontré sa première femme, Hélène, alors qu’elle était jurée lors d’un procès. Il l’avait trouvée si belle qu’il avait “plaidé pour elle”. Ensemble, ils auront deux enfants.

Rien ne le prédestinait pourtant à une carrière de ténor du barreau ni à une reconversion en politique. Éric Dupond-Moretti, l’enfant, est orphelin d’un père ouvrier métallurgiste, élevé par sa mère femme de ménage d’origine italienne. Il lui rendra hommage en accolant son patronyme à celui de son père. Éric Dupond-Moretti, l’élève, est un temps brillant, très vite rebelle. Mais à 15 ans, il sait déjà qu’il deviendra avocat. Une vocation nourrie par la disparition de son grand-père maternel, décédé dans des conditions suspectes dans les années cinquante, et par l’affaire Christian Ranucci, “l’homme du pull-over rouge”. Il se donnera les moyens d’y arriver, enchaînera les petits boulots d’employé d’usine, de fossoyeur, de pion et de maçon. Jusqu’au jour où le travail finira par payer : Éric Dupond-Moretti, lauréat ex æquo du concours d’éloquence, prête serment le 11 décembre 1984, obtient son premier acquittement trois ans plus tard. “Acquitator” était né.

Olivia Fuentes