Avec la numérisation et les opportunités d’investissement liées à la crise sanitaire, de jeunes investisseurs sont entrés sur les marchés boursiers. Portant en eux les nouveaux enjeux de ce siècle, ils trouvent leur place dans une économie incertaine. Jean-François Bay, Managing Director International Operation chez Quantalys, et Luc Arrondel, professeur associé à l’École d’économie de Paris et directeur de recherche au CNRS, témoignent.

La nouvelle génération d’investisseurs particuliers porte en elle les enjeux actuels comme la tech ou la transition écologique… Ont-ils des actifs préférés ?

Jean-François Bay. Les nouvelles générations se sont réintéressées aux investissements, alors que pendant longtemps nous avons assisté à une chute du nombre de nouveaux actionnaires. L’ouverture de comptes-titres est un indicateur pouvant révéler les tendances. Depuis 2019, nous observons une inflexion de cette baisse. Chez Quantalys, on mesure qu’un euro sur deux est allé vers des investissements thématiques, et dans les mêmes proportions pour les investissements ISR. Dans les thématiques favorites, on retrouve l’ISR donc, puis la tech car les utilisateurs sont aussi investisseurs. Ils se rendent compte de la démocratisation du digital dans leur quotidien.  

Quels sont les enjeux et les opportunités de ce nouveau profil ?

Ces particuliers remarquent les besoins de financement, tant d’un point de vue microéconomique dans leur quotidien que d’un point de vue macroéconomique avec les annonces de relance. Leur rôle est essentiel car les besoins de financement sont grands, et les États surendettés. Le contexte économique actuel est particulier, les taux d’intérêt sont faibles, ce qui favorise les leviers. La forte inflation ainsi que l’augmentation des salaires permettent de rembourser facilement un emprunt. De plus, les investisseurs sont presque contraints de désépargner à cause de cette répression financière que représentent l’inflation et les taux bas.  Néanmoins, une certaine pédagogie et une planification sont nécessaires pour que les investissements soient déployés dans le temps de manière sereine.    

Comment l’économie de demain va-t-elle influencer les investissements d’aujourd’hui ?

Les taux d’intérêt réels vont rester faibles, vu le niveau d’endettement des États. L’inflation sera durable, on commence à voir apparaître des bulles sur les marchés financiers et maintenant sur l’économie réelle. Cette inflation sera le coût de la politique monétaire en réponse à la pandémie. Concernant l’économie réelle, il faut mettre en place un nouveau paradigme. Il y a une grande différence entre ce qui est risqué et qui peut se gérer, et ce qui est incertain et qui doit être diversifié. Le coût du "quoi qu’il en coûte" sera l’inflation.

Les investisseurs particuliers ont-ils changé de comportement entre la première crise et aujourd’hui ?

Luc Arrondel. Pour répondre à cette question, il faut comprendre les facteurs conduisant à l’épargne : ressources, préférences et anticipations. Les crises financières ont tout d’abord un impact sur l’aversion au risque des populations exposées, comme les jeunes en période d’éducation. Cependant, pour le reste de la population ayant des préférences plus affirmées, l’effet des chocs sur les comportements est bien moindre. Les montants épargnés dépendent ensuite bien évidemment des revenus et la répartition de l’épargne de son niveau : le surplus d’épargne engendré par la crise pourrait ainsi s’investir dans des produits plus risqués.

"Le surplus d’épargne engendré par la crise pourrait ainsi s’investir dans des produits plus risqués"

Le troisième facteur qui explique les variations, ce sont les anticipations et l’exposition au risque. À l’issue du premier confinement, on ne pouvait pas imaginer être de nouveau contraints. Les difficultés dans la lecture du futur entraînent alors des variations dans les comportements financiers : plus d’incertitude de l’environnement induit moins de prise de risques dans ses comportements financiers.

Est-ce que les épargnants plus jeunes représentent un risque pour le marché ?

L’appétence au risque dépend des générations, mais au niveau individuel cette appétence aux risques ne varie pas beaucoup dans le temps, malgré les chocs (économiques ou autres). Ces nouveaux investisseurs ont semble-t-il tendance à prendre plus de risques que leurs aînés. Pour certains acteurs, il s’agit d’une bonne nouvelle car l’épargne des ménages est jugée trop prudente, trop orientée vers des produits sans risques alors qu’il pourrait être intéressant d’investir dans le système productif afin de financer l’économie.

Propos recueillis par Marine Fleury et Clément Redon