À l’instar de la plupart des conseils juridiques, les huissiers de justice ont connu un arrêt brutal de leur activité au début de la crise sanitaire. Passé le temps de l’adaptation, l’heure est aujourd’hui à la reprise et au soutien des entreprises. Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, dresse le bilan de cette profession dorénavant tournée vers l’avenir. Premier épisode de son interview.

Décideurs. La crise sanitaire a donné lieu à la fermeture des tribunaux au mois de mars dernier. Comment les huissiers, détenteurs du monopole de la signification d'actes, ont-ils vécu cette période de justice ralentie, voire interrompue ?

Patrick Sannino. Mal, bien entendu ! Comme tous les professionnels du droit, l’arrêt brutal de l’activité normale des juridictions s’est répercuté sur les études. Tout cela sans compter que l’activité civile était très peu présente dans les plans de continuation de l’activité (PCA) des juridictions. Or, les huissiers de justice sont essentiellement des acteurs de la procédure civile et de la procédure civile d’exécution. Le premier choc a donc été très brutal, avec un arrêt quasi complet de l’activité.

Comment ces professionnels de terrain assurant la remise en main propre de nombreux actes se sont-ils adaptés ?

P. S. Les huissiers ont été à la hauteur de leur mission de service public ainsi que de leur obligation d’instrumenter. Ils ont continué à signifier les actes qui devaient ou pouvaient l’être, spécialement les actes pénaux, à la demande des tribunaux. Mais comme vous l’indiquez en creux, il a fallu s’adapter à la nouvelle donne sanitaire. La norme pour la signification est qu’elle doit être remise au destinataire en main propre, c’est ce que l’on nomme la "signification à personne". Il a donc fallu mettre au point un protocole pour une signification à personne « sans contact » et qui consistait en un respect strict des consignes sanitaires. La Chambre a aussi insisté auprès de la Chancellerie pour adapter le dispositif de signification par voie électronique, qui existe depuis 2012, et le rendre plus performant, plus accessible. Nous avons proposé de "brancher" l’application développée par les services de la Chambre, Securact, sur France Connect.

Quelles aides financières ont été apportées aux études ?

P. S. Les études ont pu bénéficier de toutes les aides mises en œuvre par l’État pour les entreprises : chômage partiel, prêts garantis par l’État, fonds de solidarité, toutes ces mesures ont été plébiscitées par la profession qui y a massivement eu recours afin d’amortir le choc d’activité lié au Covid. La Chambre nationale, de son côté, a décidé de l’abandon de plus de 13 millions d’euros de cotisations et contributions professionnelles pour l’année 2020 afin de soulager au maximum la trésorerie des études.

Les études comptant principalement des clients institutionnels (Urssaf, service de recouvrement fiscal) et des bailleurs sociaux ont-elles été les plus durement touchées par la pandémie, en raison de la suspension du recouvrement forcé et des expulsions ?

P. S. Sans aucun doute ! Parmi celles qui travaillent pour des clients institutionnels publics, et je pense ici spécialement à l’Urssaf, il y a des études de taille différente, mais le point commun entre celles-ci est que ces clients représentent rarement moins de 20 % et 30 % de leur chiffre d’affaires. L’Urssaf par exemple est un client très exigeant, dont le process de "monitoring" des études est très performant et qui travaille par conventionnement. Ces études sont donc souvent spécialisées et ont tendance à avoir une typologie de clients plus restreinte. Les bailleurs sociaux également, en raison là aussi de la volumétrie des dossiers transmis, peuvent représenter une part importante du chiffre d’affaires de certaines études. Pour aller dans le sens de votre question, on a pu observer que les études qui "résistaient" le mieux à la crise sanitaire étaient celles qui avaient une typologie de clients diversifiée, souvent des études de moindre taille et qui font "un peu de tout" : de la signification d’actes détachés, de l’exécution, du constat, du conseil, etc.

La crise sanitaire a-t-elle suscité une réflexion sur la digitalisation du métier d’huissier de justice ? La mise en place de procédures dématérialisées est-elle envisageable pour certains actes ? Dans l’affirmative, lesquels ?

P. S. Lorsque j’ai été élu la première fois en janvier 2014, j’ai rencontré quelques mois plus tard un jeune ministre de l’Économie qui préparait une grande réforme et qui, en substance, nous a dit : soit vous vous réveillez et vous sautez dans le train de la modernité, soit vous restez sur le quai et vous disparaissez. Plutôt que de m’asseoir simplement dans le train, j’ai préféré monter dans la locomotive, et cette locomotive c’est le numérique. Après bientôt huit ans de présidence de la Chambre nationale, je ne peux qu’être fier du travail accompli. Dernier exemple en date : depuis le 1er avril 2021, la procédure de saisie-attribution est entièrement dématérialisée. Ce succès a d’abord été un chantier colossal, qui nous a occupés pendant plusieurs années. Cela montre aussi, et c’est un message que je souhaite adresser à mes homologues, que la dématérialisation, royaume du "toujours plus vite", est aussi un processus au long cours qui nécessite une vraie vision, une planification et un suivi sans faille. Entre le moment où l’on décide de la dématérialisation d’une procédure et le moment où cela advient, il se passe plusieurs années, semées d’embûches… Il faut beaucoup de volontarisme !

La crise sanitaire a-t-elle donné lieu à de nouvelles sollicitations liées à la pandémie (exemple notamment des « constats Covid » dans les entreprises, afin de prouver la bonne mise en place des conditions d’accueil respectant les obligations sanitaires) ?

P. S. Nous avons, durant les mois de confinement, réfléchi à la manière dont les huissiers de justice pouvaient s’impliquer et accompagner les entreprises à redémarrer leur activité. La question de la mise en conformité des commerces et des entreprises aux normes sanitaires a constitué un véritable enjeu dans la période. Le choc du confinement ayant été brutal, il fallait aider les entreprises et les commerces à créer de la confiance parmi nos concitoyens pour favoriser la reprise. C’est pour cela que nous avons proposé l’initiative legalpreuve et son constat "reprise d’activité" pour lequel nous avons formé les huissiers de justice. Par la suite, nous avons également proposé, toujours via legalpreuve, un constat "nuisance sonore" parce que nous nous sommes aperçus que cette question était devenue essentielle avec la généralisation du télétravail. Désormais, nos efforts se tournent vers le recouvrement amiable et la médiation. La reprise économique et la fin progressive, au cours de l’année 2022, des mesures d’aides aux entreprises vont s’accompagner d’une augmentation du contentieux pour impayés (entre professionnels ou de particuliers à professionnels).

Quid du rôle de l’huissier de justice dans les procédures amiables ?

P. S. Il est certain qu’une partie de ce contentieux ne va pas emprunter la voie judiciaire, soit que la justice fasse le choix d’encourager massivement le recours à la médiation ou à la conciliation, soit que les créanciers eux-mêmes privilégient, pour diverses raisons, la voie amiable. Nous souhaitons donc promouvoir le rôle de l’huissier sur ces procédures amiables, dans la droite ligne des efforts menés par la Chambre nationale depuis plusieurs années. Nous avions lancé, durant le premier confinement, l’initiative Urgence médiation via l’association Médicys, qui proposait une solution de médiation gratuite durant la période. Nous continuons à avancer dans la direction de la médiation qui est une piste de développement économique pour les huissiers et une corde supplémentaire à leur arc, en cohérence avec leur cœur de métier : l’exécution.

Propos recueillis par Marine Calvo

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