Depuis la loi du 24 décembre 2020, la Convention judiciaire d’intérêt public est désormais possible pour les délits prévus au Code de l’environnement. Il est donc important de rappeler les intérêts et risques de ce dispositif de justice transactionnelle qui ouvre de nouvelles perspectives pour le contentieux en droit pénal de l’environnement.

Par Arnault Buisson-Fizellier, avocat associé et Paul Dubert, juriste, BFPL Avocats. 

La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), version française du Deferred Prosecution Agreement américain mise en œuvre par la loi n°2016- 1691 du 9 décembre 2016 ("Sapin 2"), est un instrument transactionnel de justice permettant aux personnes morales d’éviter une condamnation pénale en contrepartie d’une amende d’intérêt public et éventuellement du respect d’un programme de conformité contrôlé par les pouvoirs publics.

Avec douze conventions signées entraînant plus de 3 milliards d’euros d’amendes depuis son introduction à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénal en 2016, la CJIP semble convaincre l’Autorité de poursuite et le justiciable de son efficacité. Pour preuve : à l’origine limitée à la corruption, au trafic d’influence, et à la fraude fiscale et son blanchiment, la CJIP est désormais applicable pour les délits prévus par le Code de l’environnement depuis la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée qui a créé l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale. 

L’intérêt de la CJIP pour les entreprises

Signe de la volonté des pouvoirs publics de renforcer l’efficacité de la justice en droit pénal de l’environnement, l’introduction de la CJIP ouvre des perspectives intéressantes pour ce contentieux en fort développement. Ce dispositif présente un intérêt évident pour les entreprises : la CJIP permet de clore les poursuites sans pour autant impliquer une reconnaissance de culpabilité.

La célérité et la discrétion des négociations vont aussi réduire le traitement médiatique de l’affaire et donc l’impact des poursuites sur l’image de l’entreprise. C’est aussi l’occasion pour l’entreprise de participer au respect des engagements environnementaux en présentant des actions concrètes de mise en conformité sous le contrôle du ministère chargé de l’Environnement. Le caractère négocié de la procédure est aussi un avantage pratique évident de la CJIP puisqu’elle va permettre à l’entreprise une issue plus prévisible et mieux contrôlée que la procédure judiciaire classique.

L’introduction de la CJIP en droit de l’environnement répond à un objectif précis : celui de rendre plus efficaces les poursuites des infractions au Code de l’environnement. En effet, ces infractions requièrent une caractérisation très technique et normée mêlant interprétation des actes administratifs et considérations scientifiques. La CJIP serait donc un outil permettant de simplifier un contentieux souvent long et complexe.

L’introduction de la CJIP : annonciatrice d’un renforcement du contentieux environnemental

La création de la CJIP en matière environnementale a pu surprendre dans la mesure où les délits prévus dans le Code de l’environnement sont de nature très différente des atteintes à la probité auxquelles se limitait auparavant la CJIP. Notamment, si la CJIP est particulièrement attractive pour les entreprises dans le cas de la corruption qui peut être sanctionnée par des amendes d’un montant record, tel n’est pas le cas en droit pénal de l’environnement où les sanctions sont d’un montant peu élevé, très loin des 30 % du chiffre d’affaires annuel moyen que peut impliquer une CJIP.

Cependant, l’introduction de la CJIP est annonciatrice d’un renforcement des poursuites et des pénalités encourues en matière environnementale. La création de la CJIP en 2016 s’était accompagnée d’un renforcement de la lutte contre la corruption. Il est donc fort probable qu’il en soit de même en droit de l’environnement où l’introduction de la CJIP manifeste la volonté des pouvoirs publics de renforcer ce contentieux.

Pour preuve : le projet de loi faisant suite à la Convention citoyenne pour le climat qui pourrait introduire dans le Code pénal un article L. 230-3 du Code pénal sur le délit d' "écocide" associé à des sanctions potentiellement lourdes: dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende… pouvant en fait être portés "au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction". 

Des risques pour les droits de la défense

La CJIP reste cependant un dispositif qui déroge à la procédure classique et s’écarte des règles du droit de la défense. Elle doit donc être abordée avec beaucoup de vigilance. Elle implique la réalisation par l’entreprise d’une enquête interne dont les conclusions doivent être révélées au parquet. L’entreprise procède donc à de véritables aveux en risquant de s’auto-incriminer si la CJIP n’aboutissait pas in fine. Ceci est tellement vrai que, si le Code de procédure pénale prévoit bien qu’en cas d’échec de la CJIP et de reprise des poursuites, le procureur ne peut pas faire état des déclarations faites ou documents remis au cours de la procédure de CJIP, le PNF a précisé que ne sont en réalité protégés que les échanges ou documents transmis dans la phase finale des négociations (procureur de la République financier, lignes directrices sur la CJIP, 26 juin 2019).

Par ailleurs, si la CJIP est exclusivement réservée aux personnes morales, l’enquête interne réalisée par l’entreprise risque pourtant d’impliquer des personnes physiques. Ces dernières pourraient donc devenir la cible de poursuites pénales sans pour autant pouvoir bénéficier de l’absence des poursuites qu’impliquera la CJIP pour l’entreprise.

"L’introduction de la CJIP est annonciatrice d’un renforcement des poursuites et des pénali- tés encourues en matière environnementale"

Pour pallier cela, la CJIP s’accompagne en pratique de la procédure de justice négociée réservée aux personnes physiques, à savoir la Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

Mais la limite de cette pratique a été rappelée par le tribunal correctionnel de Paris qui a refusé, le 26 février 2021, d’homologuer les CRPC des dirigeants des sociétés mis en examen pour corruption et abus de confiance, tout en validant la CJIP de la personne morale dans la même affaire. Cette décision porte un coup très dur à l’efficacité et à l’attractivité de la CJIP puisqu’il apparaît clairement qu’il n’est stratégiquement pas dans l’intérêt des dirigeants de coopérer et d’engager cette procédure avant d’avoir pu clore toute possibilité de poursuites à leur encontre. Il aurait donc été souhaitable que, en plus de la création de la CJIP environnementale, le législateur améliore aussi ce dispositif afin de préserver les droits de la défense, notamment en étendant la CJIP aux personnes physiques impliquées.

Les points clés

  • - Pas de reconnaissance de culpabilité, amende plafonnée, prévisibilité, rapidité et discrétion : les bénéfices de la CJIP pour les entreprises sont nombreux
  • - En revanche, la CJIP doit être abordée avec vigilance et reste un dispositif à parfaire, car elle présente des risques pour les droits de la défense, notamment ceux des personnes physiques
  •  - Bien que surprenante, la nouvelle CJIP environnementale est un dispositif intéressant dont l’introduction est cependant annonciatrice d’un renforcement des poursuites et des pénalités encourues.


Sur les auteurs

Arnault Buisson-Fizellier, avocat associé de BFPL Avocats, et Paul Dubert, juriste BFPL Avocats, interviennent tant en conseil qu’en contentieux en matière de risques industriels/assurances et également en droit pénal lorsque des infractions sont poursuivies dans le cadre d’exploitation de sites industriels.

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