Si la crise sanitaire monopolise notre attention de tout un chacun, n'oublions pas les catastrophes naturelles qui se multiplient dans le monde sous l’effet du réchauffement climatique. Les assureurs doivent être plus que jamais aux aguets face à la menace environnementale qui se profile à l’horizon.

Depuis plus de dix ans, des vagues de sécheresse affament le Grand Sud de Madagascar. En janvier 2020, un incendie ravageur a décimé les forêts australiennes. En France, l’hiver a été marqué par la tempête Alex laissant sur son passage des dégâts matériels considérables, mais également un lourd bilan humain. Nul aujourd’hui ne peut l’ignorer : les cataclysmes climatiques sont plus fréquents, sont encore plus dommageables et génèrent une hausse importante de la sinistralité. Or, le secteur de l’assurance peine encore à mesurer l’ampleur de la menace environnementale, comme l’atteste la cartographie prospective des directeurs des risques de la profession de l’assurance et de la réassurance publiée en février 2021 par la Fédération française de l’assurance (FFA) : le dérèglement climatique recule d’un rang et occupe la 4e position derrière le risque de cyberattaques létales, l’environnement économique dégradé et l’augmentation du risque épidémique. Pourtant, "le changement climatique est un risque systémique pour le monde entier. Contrairement à la crise du Covid-19, il n’a pas de date d’expiration", alerte Jérôme Haegeli, group chief economist du réassureur Swiss Re, dans son bilan annuel publié en mars 2021.  

Alerte à la hausse des primes d’assurance

De juillet 2020 à avril 2021, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a mené un exercice inédit de "stress test climatique "évaluant les risques financiers inhérents au sinistre naturel, dont la sécheresse, les inondations et les submersions marines, dans les secteurs bancaire et assurantiel. Selon l’étude, le coût des sinistres générés par l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles pourra être multiplié par cinq ou par six entre 2020 et 2050 dans les départements les plus touchés. Un scénario probable comme l’illustre le dernier bilan annuel de la FFA qui révèle que le coût des sinistres climatiques dépasse encore 3 milliards d’euros en 2020. Plusieurs options ont ensuite été proposées aux assureurs sondés pour faire face à la hausse de sinistres environnementaux et des dommages financiers qui en résultent : une réallocation des portefeuilles dans des aires géographiques à faible risque, ou encore la révision de leurs programmes de réassurance. Le gendarme français de la finance tire alors la sonnette d’alarme, toutes ces options ont été écartées au profit de la hausse des primes d’assurance pouvant varier de 130 % à 200 % sur trente ans, soit une augmentation comprise entre 2,8 % et 3,7 % par an. Selon le rapport, "une telle progression dépasse la croissance du PIB de plus de 70 % sur la période de trente ans couverte par l’exercice ". Autrement dit, les consommateurs risqueraient de renoncer à leur couverture à l’avenir, n’ayant pas le budget suffisant pour assumer ces augmentations. Or l’assurance est vitale pour une entreprise dans sa reprise d’activité après avoir été frappée par un sinistre majeur.

"L’assurance est vitale pour une entreprise dans sa reprise d’activité après avoir été frappée par un sinistre majeur."

Au regard de ces résultats, la question se pose : afin d’amortir cette hausse des primes, faudrait-il réformer le régime des catastrophes naturelles instauré par la loi du 13 juillet 1982 fondé sur le principe de solidarité nationale et faisant intervenir les compagnies d’assurance, la caisse centrale de réassurance (CCR) et l’État ? La réponse demeure peu certaine, d’autant plus que les résultats du stress test climatique prennent déjà en compte l’hypothèse d’une augmentation du financement de la CCR passant de 12 % à 18 %. Néanmoins, "les assureurs sont des acteurs responsables par nature, conscients des enjeux concernant la durabilité et impliqués dans la lutte contre le changement climatique", explique Philippe Poiget conseiller à la présidence de la FFA. Et pour faire face à la situation, ils ne résistent pas à l’appel de l’innovation afin d’assurer au mieux la protection de leurs souscripteurs.

L’intelligence artificielle à la rescousse

L’heure est alors à l’anticipation et à la prévention. Selon l’étude de la Fédération française de l’assurance (FFA) sur l’impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2040 publiée en 2015, le montant des indemnisations versées entre 1988 et 2013 s’élève à 48,3 millions d’euros. Entre 2014 et 2039, ce montant pourrait augmenter de 90 % en atteignant les 92 milliards d’euros. Conscients des enjeux financiers liés à l’indemnisation des sinistres, les assureurs sont plus que jamais aux aguets face au changement climatique et cherchent à revoir leur stratégie afin de proposer de nouvelles couvertures aux consommateurs pour mieux les protéger. Les compagnies d’assurance empruntent donc la voie de la transition numérique pour proposer aux consommateurs des produits à la pointe de l’innovation. Et recourent à l’intelligence artificielle. À ce titre, dans le cadre de son Climate Lab composé d’une équipe pluridisciplinaire d’experts de haut niveau, Generali France a mis à disposition des souscripteurs de contrats d’assurance un outil de géolocalisation intelligente leur permettant de visualiser et d’évaluer l’exposition des personnes et celle des biens assurés aux risques climatiques. L’assureur est résolu à "revisiter et d’adapter le métier de l’assurance à travers des solutions d’assurance augmentées".

Du côté des jeunes pousses, Descartes Underwriting a fait une entrée remarquée sur le secteur en s’emparant de la problématique des dérèglements climatiques. L’assurtech s’est spécialisée dans la modélisation des risques y afférents en s’appuyant, entre autres, sur l’analyse de la donnée et les algorithmes développés en interne et en partenariat avec des organismes comme l’Agence spatiale européenne (ESA), la National Aeronautics and Space Administration (Nasa) ou encore la Japan Aerospace Exploration Agency (Jaxa). "Grâce à de nouvelles techniques notamment autour de l’intelligence artificielle, nous voulons rendre l’assurance plus accessible et lui faire jouer pleinement son rôle de protection des entreprises et des populations", a expliqué Tanguy Touffut, fondateur de Descartes Underwriting. Les assureurs l’ont bien compris, leur rôle traditionnel d’assureurs-indemnisateurs ne suffit plus, ils doivent se montrer désormais proactifs : anticipation et prévention sont ainsi les mots  d’ordre face à l’urgence climatique.

"Les compagnies d’assurance empruntent la voie de la transition numérique pour proposer aux consommateurs des produits à la pointe de l’innovation."

La fin du charbon thermique : cap sur 2040

L’engagement contre le changement climatique des assureurs se poursuit sur le terrain des investissements verts et de la finance durable. Encouragés par l’Accord de Paris entré en vigueur en 2016 dont l’objectif est de limiter le réchauffement climatique inférieur à 2°C à la fin du siècle, les assureurs annoncent une réduction de l’empreinte carbone de leur portefeuille d’actif en se désengageant du charbon. D’ailleurs, l’ACPR a publié en 2020 un bilan positif sur la mobilisation des établissements financiers : toutes les compagnies d’assurance sondées ont publié une politique en ce sens. À ce titre, dans le cadre de la Net-Zero Asset Owner Alliance, AXA a déjà franchi un nouveau cap dans sa stratégie climat en annonçant fin 2019 un renforcement de sa politique de désinvestissement pour se défaire entièrement de l’industrie du charbon. Le groupe français s’est notamment engagé à limiter davantage sa politique de souscription pour les entreprises issues de ce secteur. De son côté, CNP Assurances a adopté un plan de sortie définitive du charbon thermique d’ici 2030 dans les pays de l’Union européenne et ceux de l’OCDE, et d’ici 2040 dans le reste du monde. Dans un communiqué du 2 juillet 2020, le groupe a annoncé, entre autres, qu’il refuse désormais d’investir dans une entreprise produisant plus de 10 millions de tonnes de charbon thermique par an ou encore dans celles dont plus de 10% du chiffre d’affaires est lié au charbon thermique. "Nous continuerons à agir pour limiter le réchauffement climatique et respecter les engagements de l’Accord de Paris", explique Antoine Lissowski, directeur général de CNP Assurances, dans le communiqué. Quant à la réassurance, Swiss Re suit la cadence en devenant le premier réassureur à sortir entièrement du charbon dès 2030 dans les pays de l’OCDE et dans le reste du monde en 2040, et vise une réduction de 35 % de l’intensité carbone de son portefeuille d’ici 2025.  De quoi exhorter les autres réassureurs à suivre la même démarche.

Un cadre réglementaire renforcé

L’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et son décret d’application prévoient pour les investisseurs institutionnels (mutuelles, compagnies d’assurance, sociétés de gestion, banques) des obligations d’informations concernant la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs stratégies d’investissement. Ils sont tenus de rendre compte à leurs souscripteurs les modalités d’évaluation et intégration de ces critères, ainsi que les moyens mis en œuvre pour gérer les risques climatiques. On y retrouve, par exemple, la politique de désengagement du charbon. Or, l’étude de Novethic "173 nuances de reporting" publiée en novembre 2020 révèle des résultats peu concluants : seuls les acteurs engagés, passant du nombre de 15 à 23, ont continué à améliorer leur compte-rendu sur le climat et ont renforcé leurs engagements. Mais le principal point d’attention porte sur la catégorie des décrocheurs (au nombre de 12) lesquels ont fait un vague effort de reporting et dont 4 d’entre eux ont révélé qu’ils n’intègrent pas les critères ESG-climat dans leurs politiques d’investissement, "ce qui peut être préoccupant pour leurs clients et bénéficiaires" selon le rapport. Ces résultats tiennent ainsi compte d’une réalité que la FFA a déjà mise en lumière dans son dernier baromètre publié en 2019 sur l’intégration des critères ESG-Climat dans les stratégies d’investissement des assureurs : "Les assureurs ne sont pas encore tous en mesure d’arbitrer leur décision d’investissement en tenant compte des analyses de risques climats réalisées."

"Les assureurs annoncent une réduction de l’empreinte carbone de leur portefeuille d’actif en se désengageant du charbon."

L’Union européenne durcit alors le ton. Entrée en vigueur le 10 mars 2021, la réglementation Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) prévoit de nouvelles obligations aux assureurs. Ces derniers ne doivent plus uniquement informer leurs souscripteurs sur l’intégration des critères ESG-climat dans leurs politiques d’investissement, mais doivent également de préciser les conséquences néfastes de leurs investissements sur l’environnement. Plus encore, les dispositions imposent une obligation de transparence quant aux produits directement proposés aux souscripteurs : les documents précontractuels à destination de ces derniers doivent alors inclure des informations sur la prise en compte des critères ESG-Climat. Ou comment mettre un terme à la tendance au greenwashing épinglée par l’ACPR et l’AMF dans un rapport commun publié en décembre 2020 sur les engagements pris par les assureurs dans le cadre de leur politique de désengagement du charbon thermique.  

Jessie Razafindrabe