Celle qui a revêtu la robe d’avocat le 1er mars 1995 portera à partir du 1er janvier 2022 l’habit de bâtonnier de Paris. Pas question cependant pour Julie Couturier de s’éloigner du combat qu'elle mène dans sa vie professionnelle : réchauffer la relation entre les avocats et les magistrats. C’est sous la protection de son vice-bâtonnier, le pugnace Vincent Nioré, qu’elle se prépare à entrer dans l’arène.

Qui est Julie Couturier ? Quelle personnalité se cache derrière celle que les avocats parisiens ont désignée pour être leur future bâtonnière ? Pour le découvrir, il faut passer la porte de son cabinet du 81 rue de Monceau à Paris où elle exerce avec ses collaborateurs et d’autres de ses confrères en structure groupée. Un lieu de travail orné d’images de Venise, sa ville de cœur, où l’avocate de 49 ans exercera de moins en moins dans les mois à venir, mandat électif oblige.

D’une extrême patience

Celle qui se qualifie de perfectionniste, qui concède être un tantinet obsessionnelle, a déjà prévu de remettre les clés de son cabinet à Pauline Breuzet-Richard qui travaille à ses côtés depuis 2015 et qui guidera bientôt seule la petite équipe de spécialistes du droit de l’exécution et de la procédure civile. Mieux que ça, Julie Couturier prépare la fusion de JCD Avocats – c’est le nom de sa boutique – avec celle d’un de ses confrères dont l’activité (le droit bancaire et financier) est très proche de la sienne. L’année de dauphinat lui sera utile pour finaliser l’opération, lui laissant encore quelques mois avant de se consacrer pleinement à sa nouvelle charge dont elle pèse le poids avec lucidité : "Le bâtonnier est le défenseur des avocats. Durant la campagne, on a senti que nos confrères avaient besoin qu’on les protège." Julie Couturier semble faite pour ça. Parce qu’elle "résiste à tout, avec une extrême patience", juge Vincent Nioré. À tel point que son vice-bâtonnier élu se sent investi de la mission de la protéger, elle, "parce que nous sommes fusionnels et parce que le bâtonnier est classiquement l’objet de nombreuses attaques", précise le pénaliste. On le perçoit tout de suite, les deux membres du duo se complètent : là où Vincent Nioré a le sang chaud, Julie Couturier est d’une grande sérénité. Sur la méthode, les deux opposés devraient pouvoir parvenir à un équilibre. Sur le fond également bien que la tâche soit difficile, car les avocats sont attaqués de toute part.

Un ambassadeur auprès de la Chancellerie

L’actualité récente de la profession a été marquée par trois événements majeurs : la réforme des retraites introduisant le régime indépendant des avocats dans le régime général, les faisant renoncer à leur réserve de 2 milliards d’euros, la crise sanitaire et les difficultés rencontrées par de nombreux professionnels notamment durant la fermeture des tribunaux entre mars et mai 2020, et bien sûr les coups de canif au secret professionnel révélés par la publication des fadettes dont ont été victimes de nombreux pénalistes. Ce dernier sujet a cristallisé l’action de Vincent Nioré ces dernières années, quant à Julie Couturier, elle veut en faire un axe fondamental de leur mandat. Jusqu’à récemment encore, le vice-bâtonnier élu était délégué du bâtonnier lors des perquisitions dans les cabinets d’avocats : "J’ai plus de 250 perquisitions à mon actif", calcule le vice-bâtonner élu. Son combat pour la protection des droits des avocats et du secret professionnel ne va pas s’essouffler, car même s’il a donné le relais à une nouvelle équipe menée par Camille Potier, il va garder un œil "pour suivre chaque dossier et être informé de tout ce qui se passe." Le pénaliste prévient : "Notre mandat ne sera pas celui de la guerre entre avocats et magistrats", avec une profonde envie de réconcilier les deux professions. Une ambition déjà perçue de l’autre côté du prétoire : "Guillaume Daieff m’a envoyé un message de félicitations sur Linkedin au lendemain de notre élection", se réjouit-il, dans un contexte qui fait la part belle au mélange des genres grâce à la nomination d’une avocate à la tête de l’École nationale de la magistrature et d’un magistrat comme directeur de l’École française du barreau.

Historiquement, on n’a jamais vu un binôme l’emporter avec une telle majorité : 64,61 %, contre Xavier Autain et Clotilde Lepetit

Julie Couturier est quant à elle une avocate civiliste. Ce qui ne va pas l’empêcher de mener cette lutte pour la protection du secret professionnel de concert avec son vice-bâtonnier et de suivre la réforme de la procédure pénale que prépare le Garde des Sceaux. "Nous avons prévu de nommer un ambassadeur auprès de la Chancellerie", explique la bâtonnière, qui ne souhaite pas donner de nom avant que cette idée soit acceptée par le ministère. Elle prévient : "La réforme de la procédure civile a subi de nombreux couacs qui auraient pu être évités si les magistrats avaient été accompagnés d’avocats lors de la mise en place des textes." Assurément, il faudra compter sur elle pour surveiller celle de la procédure pénale.

Culture du dialogue et ténacité

Le mandat de Julie Couturier sera aussi marqué par sa propre méthode de travail. "Jamais je n’enterre un dossier, je suis pour la technique des petits pas", confie l’ancienne présidente de la très influente association Droit & Procédure, qui rassemble principalement des avocats, mais aussi des magistrats et des professeurs de droit autour de questions juridiques d’ordre procédural en débat. L’objectif de son action : fluidifier les relations pour améliorer l’efficacité de la justice. Celle qui a été la seconde femme et la plus jeune (42 ans) à diriger cette association a ouvert son terrain de jeu à d’autres procédures que celles utilisées en matière civile. Grâce à des partenariats en droit de la concurrence, en droit des entreprises en difficulté, elle s’est dirigée vers les modes alternatifs de règlement des conflits, avec des régulateurs comme le Défenseur des droits… Cette ouverture s’est étendue aux jeunes avocats, notamment ceux exerçant dans des cabinets d’avocats d’affaires. Et cette culture du dialogue, liée à sa ténacité, lui a permis de rassembler autour de sa candidature une grande partie des avocats "de palais", autrement dit, ceux qui plaident.

L’ironie du sort veut qu’elle siège sous le mandat de bâtonnier de Jean Castelain, contre lequel elle s’était battue pour faire élire son adversaire Xavier Normand-Bodard

Historiquement, on n’a jamais vu un binôme l’emporter avec une telle majorité : 64,61 %, contre Xavier Autain et Clotilde Lepetit. C’était aussi la première fois que les élections se déroulaient en un seul tour, puisque seulement deux duos se sont présentés. Enfin, contexte sanitaire oblige, la campagne s’est organisée uniquement par voie digitale, à l’exception d’une annonce faite en petit comité en juillet dernier. Un lancement tardif par rapport aux précédentes élections. Julie Couturier se souvient : "Ce qui m’a décidé, c’est que Vincent a accepté. Nous avons pris notre décision fin mai et ne l’avons officialisée que fin juin, après l’audience disciplinaire." Ici, la bâtonnière élue fait référence à la procédure disciplinaire qui a eu lieu le 25 juin 2020 et au cours de laquelle Vincent Nioré est sorti blanchi des accusations portées contre lui par la procureure générale près la cour d’appel de Paris, Catherine Champrenault, pour ses propos considérés comme insultants par des magistrats présents lors d’une audience du juge des libertés et de la détention tenue à huit clôt le 18 avril 2018. Cette affaire a incontestablement réuni le barreau derrière celui qui défend les avocats lors des perquisitions depuis 2008. Et derrière sa colistière, qui, depuis son entrée dans la profession, consacre une part importante de son temps à la vie des avocats, leur statut, leur évolution, leur représentation et bien sûr leur défense.

"Petite sœur de POS"

Tombée dès sa prestation de serment dans la marmite UJA, ce syndicat de jeunes avocats qui fait référence à Paris et dans les pays de l’Union européenne, Julie Couturier a été une militante de la première heure en faveur de l’évolution de la profession vers un statut de collaborateur plus protecteur, notamment lors des événements de la vie comme la maternité. Amatrice des tours de chants (on l’a vue lors de la Revue de l’UJA, cette soirée de théâtre organisée par et pour les avocats, pousser la chansonnette sur Les Demoiselles de Rochefort remanié), elle n’a jamais cessé depuis lors de travailler pour les avocats. En 2009, elle commence son mandat de membre du Conseil de l’ordre et en devient secrétaire en janvier 2011. L’ironie du sort veut qu’elle siège sous le mandat de bâtonnier de Jean Castelain, contre lequel elle s’était battue pour faire élire son adversaire Xavier Normand-Bodard. Il lui confie les rênes de la commission consacrée à la collaboration où elle poursuit son travail entamé au sein de l’UJA. Pour son autre cheval de bataille, la relation entre les avocats et les magistrats, elle agit avec sa casquette de spécialiste de la procédure civile, un positionnement plus heureux, selon elle, pour ce genre de mission que le pénal. Elle œuvre pour la simplification des communications entre ces auxiliaires de justice dans l’intérêt du justiciable. Exemple : rassembler les groupes de travail au sein de la cour d’appel et leurs bulletins de procédure pour unifier les différentes matières. Une ambition qu’elle poursuit en prenant la présidence de l’association Droit & Procédure un an seulement après son départ du Conseil de l’ordre.

C’est à présent pour un poste à plein temps pour lequel Julie Couturier a signé. "Nous sommes des avocats, nous faisons du droit, négocions, combattons. En tant que bâtonnière, je ferai ce qu’il faut faire, sans jamais être dans la posture, de façon constructive et en évitant les blocages", dessine-t-elle, avant de rappeler qu’elle marche dans les pas de Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de Paris entre 2014 et 2015 qui la qualifie publiquement de "petite sœur". Le pénaliste est aussi son ancien associé chez Fischer Tandeau de Marsac Sur & Associés, un cabinet où elle est restée pas moins de vingt et un ans. Un soutien de la première heure qui, comme elle, a été élu à 49 ans. Il lui donnera aussi certainement des conseils sur la méthode. Pour l’heure, elle est déterminée : "Lorsque les décisions sont freinées au plus haut niveau, le meilleur moyen de faire avancer les choses, c’est de créer un niveau de discussion inférieur pour trouver des points d’accord entre professionnels qui se comprennent, ce qu’Olivier Cousi a commencé à faire." Si elle avait un message à faire passer, ce serait celui de l’utilité de l’institution ordinale : "Les confrères se sentent loin de l’ordre parce qu’ils ne savent pas ce qu’il peut faire pour eux. Par exemple, parmi les 2 000 avocats qui exercent à l’étranger, nombreux sont ceux qui pensent que l’ordre leur met des bâtons dans les roues alors que nous sommes là pour leur faciliter la tâche. Nous ne sommes pas une administration, il faut mettre fin à la bureaucratie." Rien que ça va lui demander une énergie folle. Ça tombe bien, Julie Couturier en a à vendre.

Pascale D'Amore