Trois ans après sa création, l’activité de l’Agence française anticorruption (AFA) ne faiblit pas. Son directeur Charles Duchaine expose les points importants du premier plan pluriannuel français de lutte contre la corruption et revient sur la place qu’occupe désormais l’Agence à l’échelle internationale. Il évoque également les différentes évaluations dont la France a fait l'objet au cours des derniers moi ainsi que sur celles à venir.

Décideurs. L’AFA a publié en janvier 2020 le premier plan pluriannuel de lutte contre la corruption pour la période 2020-2022. Quels sont les points importants à retenir ? 

Charles Duchaine. Nous n’avons pas ménagé notre peine et pris du temps pour préparer ce premier plan. Finalement, nous sommes arrivés à un résultat bien modeste. Gageons que l’atteinte de nos objectifs en sera facilitée. Le premier axe de ce plan pluriannuel concerne la connaissance et la détection de la corruption en optimisant l’exploitation des données. La lutte contre la corruption est en effet avant tout une question de culture. Cet axe est également important dans la mesure où la détection de la corruption est fondamentale puisqu’évidemment nécessaire à sa répression. La corruption est en effet une infraction dissimulée : il est donc difficile d’envisager la lutte simplement dans un cadre répressif. Pour pouvoir poursuivre la corruption, encore faut-il la détecter ! C’est là la faiblesse de notre dispositif et c’est pourquoi la prévention a un rôle majeur à jouer dans ce domaine. Et cela passe notamment par la formation et la sensibilisation du public.

Quel est votre rôle justement en matière de formation et de sensibilisation des acteurs publics ? 

Notre rôle est de préparer ce plan et non de le mettre en oeuvre. Il appartient aux administrations et aux ministères de le faire. Nous sommes néanmoins chargés de les accompagner. Nous rencontrons, autour de leurs secrétaires généraux, les directions concernées de chaque ministère pour leur expliquer ce que nous venons faire, à savoir prendre une photographie des dispositifs mis en place pour lutter contre la corruption en leur adressant deux questionnaires : l’un à destination directement du ministère et l’autre qui s’adresse plus spécifiquement aux opérateurs qui lui sont rattachés. Il convient donc de renseigner ces questionnaires de manière à ce que nous puissions faire un état des lieux de ce que représente l’anticorruption au sein de chaque ministère. À partir de là, et à l’issue d’une période de deux années, nous pourrons mesurer les progrès réalisés. Ce plan pluriannuel, validé en juillet 2019 à l’occasion d’une réunion interministérielle, engage tous les ministères, mais a vocation à entraîner également toutes les collectivités territoriales et leurs établissements.

"Il faudrait des textes pour assurer le développement de l’enquête interne et poser un cadre plus précis"

Jugez-vous votre visibilité à l'international satisfaisante ? 

Le dernier axe du plan pluriannuel concerne justement le renforcement de l’action française à l’international et l’Agence est en effet très dynamique sur ce point. La lutte anticorruption doit se faire collectivement. En dépit de nos résultats dans les classements internationaux, notamment celui de Transparency International au sein duquel la France figure à la 23e position, l’AFA a réussi à gagner en crédibilité vis-à-vis de ses homologues étrangers. Nous présidons cette année le réseau de coopération NCPA (Network of Corruption Prevention Authorities) qui réunit actuellement les autorités anticorruption de 24 pays. En partenariat avec l’OCDE, le Greco du conseil de l’Europe et le réseau NCPA, nous avons mené une grande enquête pour établir une cartographie mondiale des autorités anticorruption. Il est en effet essentiel de savoir à qui s’adresser si l’on a besoin de renseignements. Certaines structures ne font que de la prévention, d’autres que de la répression et d’autres encore font les deux ! De nombreuses organisations de prévention sont dotées d’un pouvoir d’enquête, ce qui fait malheureusement défaut à notre agence. L’AFA contrôle les dispositifs de prévention de la corruption et en contrôle la qualité. Elle peut chemin faisant découvrir des indices de corruption qu’elle doit alors communiquer au parquet qui peut, s’il estime que c’est opportun, décider de mener une enquête ; encore de police judiciaire spécialisés en la matière étant peu nombreux, débordés et mobilisés sur des affaires dont la dimension médiatique est souvent plus importante que la dimension pénale proprement dite.

Est-ce que cela va changer ? 

Dans une volonté de lutter efficacement contre la corruption, cela le devrait. Ce n’est évidemment pas notre rôle d’enquêter mais celui de la police judiciaire. On ne peut néanmoins prétendre vouloir lutter efficacement contre la corruption sans s’en donner les moyens et en cloisonnant le dispositif, en isolant les institutions les unes des autres. Avant d’envisager d’hypothétiques rapprochements entre les institutions existantes, même s’il y a probablement autant de mauvaises raisons que de bonnes de vouloir le faire, resserrer le dispositif existant serait nécessaire. Nous essayons de le faire par des actions de coordination, en signant des conventions avec d’autres institutions, mais ce n’est pas assez opérationnel en pratique. Il faudrait que la coordination se fasse à un niveau supérieur et qui engage clairement le niveau politique.

"De nombreuses organisations de prévention sont dotées d’un pouvoir d’enquête, ce qui fait malheureusement défaut à notre agence"

Vous avez publié en juin dernier un guide sur la maîtrise du risque de corruption dans le cycle de l’achat public. Comment expliquez-vous son succès ? 

La corruption se loge beaucoup dans l’achat public, les contrats, les appels répondraient pas au but que cette législation a voulu favoriser. Cette publication a été corédigée par des techniciens professionnels de l’achat et des théoriciens côté régulateur qui y expliquent comment la règle doit être appliquée. Ce guide est très complet : on y retrouve une réelle analyse des règles et des conséquences pénales en cas de leur non-respect. C’est très rassurant pour ceux dont c’est le métier ! Par ailleurs, comme le code des marchés est le résultat de la transposition d’une directive européenne, il existe une certaine harmonisation des règles sur le plan européen qui fait que cet ouvrage franco-français peut néanmoins intéresser tous les pays de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle nous l’avons fait traduire en anglais.

Une circulaire du ministère de la Justice daté du 2 juin 2020 fixe les lignes directrices de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale. Elle encourage notamment les entreprises à dénoncer spontanément des faits internes de corruption et rappelle le rôle central du PNF. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

La détection de la corruption passe par trois voies distinctes : les investigations policières, les renseignements d’un lanceur d’alerte ou l’autodénonciation de l’entreprise elle-même. On ne peut cependant pas envisager un système dans lequel l’on n’a pas connaissance des conséquences de l’autodénonciation, c’est-à-dire des sanctions effectives encourues. C’est dans ce sens, je pense, que les Américains nous ont aidés, par la crainte des sanctions qui entraîne les entreprises à repenser leur façon de traiter le sujet de la corruption. Mais elles ne viennent pour le moment pas encore à nous pour s’autodénoncer et négocier en contrepartie une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) avec le Parquet. Je suis convaincu qu’il faudrait des textes pour assurer le développement de l’enquête interne et poser un cadre plus précis. C’est ce que nous avons notamment essayé de faire avec le PNF par la rédaction de lignes directrices relatives à la mise en oeuvre de la CJIP afin que les entreprises bénéficient entre autres d’une meilleure visibilité sur ce qui les attend, ce à quoi elles s’exposent ainsi que sur les profits qu’elles peuvent tirer de leur autodénonciation et sous quelles conditions. Cette circulaire à destination des parquets est donc intéressante, mais il faudrait aller plus loin dans la lisibilité des procédures.

"Le plan pluriannuel de lutte contre la corruption engager tous les ministères"

La prochaine évaluation de la France par l’OCDE dans le cadre de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions internationales interviendra en 2021. Qu’en attendez-vous et quel sera votre rôle ?

Les textes nous donnent un rôle de coordination de l’action des autorités françaises dans les enceintes internationales. À ce titre, nous participons activement à l’élaboration des réponses au questionnaire envoyé par l’OCDE dans le cadre de leur évaluation, ce qui demande un travail conséquent des équipes en interne. Plusieurs personnes sont chargées de remplir ces documents en s’appuyant sur les différents services de l’agence. Une question peut en effet aussi bien concerner la partie conseil que celle du contrôle : chacun apporte une réponse et nous faisons une synthèse des deux. 

Dans ces évaluations, il y a ce que l’on fait et la façon dont on le présente. Si l’on n’est pas capable de mettre en valeur le travail accompli, on pourra à tort penser que rien n’a été fait ! Notre rôle est donc de bien analyser et comprendre le questionnaire, de façon à apporter des réponses compréhensibles au niveau de l’OCDE. 

De son côté, le Greco a publié son dernier rapport début 2020 et a appelé la France à « renforcer l'efficacité et l'application dans la pratique du cadre en place pour prévenir la corruption au sein de l'exécutif », en notant toutefois des évolutions législatives positives. Quelle analyse en faites-vous ? Êtes-vous satisfait des conclusions du rapport ? 

Le dispositif français est trop segmenté et ne couvre pas tous les cas de figure. Est-ce que la loi nous permet d’aller vérifier quels sont les dispositifs de prévention de la corruption mis en place dans les hautes instances de l’exécutif de l’État ? À l’évidence non. Ni même au niveau du Parlement. Est-ce que l’approche de la prévention de la corruption à travers la mise en oeuvre de dispositifs au sein des institutions permet d’éviter une « affaire Benalla » ? Non plus. Si l’on veut un système efficace, il doit être unifié et ne pas séparer ceux qui s’occupent des personnes, ceux des structures et ceux des faits. Il faut une cohérence, une approche globale, faire en sorte que le dispositif couvre l’ensemble du spectre et ne pas dissocier la forme du fond des affaires.

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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