Le caractère inédit du confinement décrété par le gouvernement pour endiguer la propagation du coronavirus place les professionnels dans l’incertitude quant à la bonne stratégie de communication à adopter. Au-delà du ressenti personnel de chaque avocat, quelques règles sont à respecter.

Le cabinet Binsard est fier de vous annoncer l’ouverture d’un bureau secondaire sur Mars, dédié au droit pénal intergalactique. Notre ambition est de devenir le cabinet de référence pour la défense des auteurs d’infractions multi-planétaires, et de contribuer à l’évolution du droit pénal dans l’espace. » Un post Linkedin publié par l’avocat Robin Binsard et accompagné d’une image de Mars qui a bien fait rire ses confrères. Au-delà de la traditionnelle blague du 1er avril, le pénaliste met le doigt dès les premiers jours de confinement sur une interrogation aussi clivante qu’incontournable : faut-il communiquer en période de crise ?

La réponse qui vient naturellement du côté des communicants spécialistes des professionnels du droit est positive, avec de nombreux bémols. « Oui, mais utilement. Communiquer pour dire quelque chose et non pas répéter quelque chose, communiquer pour contribuer. Oui, mais sincèrement. La crise actuelle invite à la vérité, à l’authenticité et à l’humilité. Enfin, oui, mais sobrement. L’extrême difficulté dans laquelle chacun se situe, personnellement ou professionnellement, nous invite à quitter les codes présomptueux de la communication. » Cette anaphore de la directrice de l’agence Sachinka, Anne Bassi, appelle plusieurs commentaires.

« Infobésité »

Éloignés de leur cabinet et délestés, pour certains, de leurs activités courantes, les avocats ont pour premier réflexe d’écrire. Articles sur les sites des cabinets, envoi de newsletters, campagne mailling, posts sur les réseaux sociaux… La crise sanitaire a déclenché une « infobésité » selon Gwénaëlle Henri, fondatrice d’Eliott & Markus. Un néologisme qui met le doigt sur les conséquences d’une communication trop bavarde. L’information juridique en lien avec le coronavirus va très vite, est parcellaire et extrêmement mouvante, laissant peu de place à la réflexion nécessaire des analyses en droit. Les premiers qui se sont risqués à communiquer ont souvent été prolixes, imprécis ou, pire, ont dû corriger leurs déclarations. « La situation exige plus que jamais une information concise », ajoute la directrice conseil. Amélie Lerosier, à la tête de l’agence Allblue Consulting, confirme : « Des explications courtes et pédagogiques sont à privilégier. » Quand Virginie Jubault, directrice associée chez Avocom, renchérit : « Trop de communication tue la ­communication. »

L’information juridique en lien avec le coronavirus va très vite, est parcellaire et extrêmement mouvante

Dès lors, mieux vaut privilégier une communication ciblée, qui laisse le temps à l’échange et à l’empathie. « Nos clients, demandeurs de soutien juridique, nous font part de nombreuses idées et cela crée du lien », explique Gilles Bigot, à la tête de Winston & Strawn à Paris. La première démarche d’un avocat confiné doit être de se concentrer sur le lien direct avec ses clients actuels et futurs, ses contacts en général. Prendre des nouvelles de la santé de chacun, s’inquiéter de la manière dont ils gèrent la crise et de leur situation financière sont autant d’actions qui lui permettent de jouer son rôle de conseil efficacement et d’assurer, avec sincérité et en évitant toute maladresse, la défense de l’entreprise. L’important est de rester cohérent avec la stratégie globale de communication que l’on a définie au départ. « J’explique à mes clients qu’on ne peut pas affirmer toute l’année être les partenaires des entreprises et, au moment le plus tendu, leur rappeler les retards de paiements de nos honoraires », explique Gwénaëlle Henri. Si l’on peut, le mieux est de se montrer solidaire en accordant au contraire des délais, organiser une période de transition.

Faire comme les politiques

De la même manière, la communication interne doit être menée avec la plus grande vigilance. La crise sanitaire impose au management des cabinets, comme à celui de tout autre entreprise, de montrer qu’il y a un pilote dans l’avion. « La meilleure façon de communiquer en interne est de maintenir le lien, explique l’avocat devenu médiateur Pierre ­Servan-Schreiber, qui était à la tête du bureau de Paris de Skadden durant la crise de 2008. Il faut organiser des points d’étape sur les dossiers en cours et sur l’évolution du cabinet. Il est important que les gens continuent de penser qu’ils font partie d’une équipe. » Le travail à distance ne doit pas faire oublier la solidarité et le collectif. « Nous discutons de manière très libre avec nos collaborateurs, réagissent Xavier Rollet et Frédéric Broud, les co-managing partners de Racine. L’objectif est de répondre le plus rapidement possible à leurs préoccupations. » Certains cabinets sont allés plus loin en mettant en place des cellules de soutien psychologique à destination du staff et des collaborateurs.

Ce qu’il faut taire, en revanche, ce sont les scénarios élaborés par la direction face à la crise : inutile de spéculer et d’inquiéter les équipes. Et si ces dernières posent des questions sur l’avenir de la structure, le mieux est de faire comme les politiques : expliquer que toutes les hypothèses sont étudiées et qu’aucune décision n’a encore été prise. « Je me rappelle avoir souvent répété que 98 % de nos peurs ne se réalisent jamais », rassure Pierre Servan-Schreiber. « Il ne faut pas laisser de place aux suppositions, aux qu’en-dira-t-on, renchérit Amélie Lerosier. Savoir faire preuve d’humilité dans sa communication interne en disant “nous ne savons pas encore...”, “nous ne sommes pas sûrs…”, est préférable au silence. » Autrement dit, il s’agit de rester à l’écoute et de rassurer.

Occuper l’espace rendu disponible

Pour ce qui concerne la vie des cabinets, les mouvements d’avocats et les créations de structures notamment, les avis divergent. Pour certains, il n’est pas question d’être autocentrés : « L’actualité du cabinet aurait pu justifier de communiquer auprès de nos clients et de nos partenaires, explique l’associé Jérémie Fierville, fondateur de Fierville Ziadé, mais nous avons pris la décision de ne pas le faire avec mon associée Marie-Aude Ziadé. Cela ne nous a pas semblé opportun dans le contexte actuel. » Beaucoup de ses confrères ont suivi, eux aussi, le même raisonnement. Le nombre de communiqués de presse reçus par Décideurs a diminué de moitié entre les mois de février et de mars. En avril, ils se comptent sur les doigts de deux mains. Néanmoins, certains cabinets se sont montrés particulièrement judicieux. C’est le cas des structures dépourvues de département restructuring qui ont annoncé l’arrivée en leur sein de spécialistes de la matière, laquelle étant indispensable dans le contexte actuel, les cabinets spécialisés en faillites d’entreprises sont très sollicités en ce moment.

Ce qu’il faut taire, ce sont les scénarios élaborés par la direction face à la crise : inutile de spéculer et d’inquiéter les équipes

De manière plus générale, la communication sur la vie des cabinets a, semble-t-il, évolué au fil des semaines. « Communiquer sur sa propre actualité (deals, nominations…) était décalé au début du confinement, explique Amélie Lerosier, tous les acteurs ayant d’autres préoccupations. Aujourd’hui, il faut considérer cela différemment. » L’important est de donner des signaux positifs à ses interlocuteurs, et de profiter de l’espace rendu disponible par une diminution du nombre de ce type d’informations. « Les statistiques des actions de communication ne répondent plus à aucune règle, ajoute Virginie Jubault. Comme tout le monde cherche de l’information, les publications marchent plutôt bien. » Et, lorsqu’un nouveau cabinet arrive sur le marché, une opération souvent préparée de longue date, il est cohérent de l’annoncer « afin de créer du lien dans une période où les clients ont plus de temps à nous accorder », poursuit la communicante. L’important est de parler avec ses interlocuteurs, de manière sincère et opportune.

D’autant plus que c’est le moment qu’a choisi le Conseil national des barreaux (CNB) pour revoir certaines règles encadrant la publicité des avocats. En décidant de réformer l’article 10 du règlement de la profession tout début avril, l’institution a simplifié les choses en uniformisant les contraintes liées à chaque support de communication par la suppression de la distinction entre information professionnelle et publicité personnelle. La différence entre ces deux notions imposait des mentions différentes selon qu’il s’agissait des correspondances, des plaques, des cartes de visite, du site internet, de la télévision, de la radio... C’est une vision extensive des éléments de communication (spécialité, domaines d’activité, guideline…) puisqu’ils peuvent apparaître quel que soit le support. Sans oublier que l’article 10.3 du règlement n’autorise la publicité et la sollicitation personnalisée que « si elle procure une information sincère. » La boucle est bouclée.

Pascale D'Amore