La Banque Postale AM et Ostrum AM ont le projet de rapprocher leurs gestions assurantielles et de taux, pour donner naissance à une plateforme gérant près de 435 Md€ d’actifs. Un montant qui en ferait d’ores et déjà le 9e acteur en Europe. En parallèle, la Banque Postale AM continuera à développer ses activités de gérant multi-spécialiste, focalisé sur de la gestion de conviction et/ou à forte valeur ajoutée. Avec calme et détermination, Emmanuelle Mourey, Président du Directoire, s’explique sur la stratégie menée par le groupe et ses ambitions pour promouvoir une finance durable.

Décideurs. La gouvernance de la Banque Postale AM a fortement évolué en 2019. Comment se dessine-t-elle aujourd’hui ?

Emmanuelle Mourey. Vincent Cornet, Directeur de la gestion de LBPAM et Directeur général de Tocqueville Finance SA, et moi-même composons le nouveau Directoire de la Banque Postale AM. Nous nous répartissons les responsabilités entre activités de gestion et activités supports. Nous menons ensemble tous les sujets. Notre Directoire a d’ailleurs vocation à se renforcer pour mener à bien les projets en cours.

Votre action s'inscrit-elle dans la continuité de celle portée par Daniel Roy ?

Parfaitement. En plein accord avec les objectifs de La Banque Postale, nous avons lancé en 2018 la transformation ISR du groupe. Ce projet majeur pour l’entreprise se concrétisera dans les délais initialement prévus. Nous avons également annoncé en juin dernier le projet de création d’une plateforme commune avec Ostrum AM regroupant nos gestions assurantielles et taux. Ce rapprochement est une réponse logique à l’évolution de notre industrie et à la recherche de partenariat stratégique en Europe que nous portions depuis deux ans. La nouvelle gouvernance de La Banque Postale AM s’inscrit pleinement dans le cadre de ces stratégies.

L'environnement actuel semble défavorable aux sociétés de gestion (réglementation, taux bas…). Réaliser des économies d’échelle doit-elle être leur priorité ?

La baisse des taux est extrêmement impactante. Une grande partie des assureurs doit faire face à une dégradation de leurs ratios Solvency II. Les marges des banques et des assureurs s’affaiblissent également. Ces acteurs ne sont donc plus en mesure de rémunérer les assets managers dans les mêmes conditions qu’auparavant. Les coûts sont aussi plus importants, en raison notamment d’une pression réglementaire accrue et d’une digitalisation des services devenue vitale.

Cet environnement - moins de revenus et coûts supérieurs - crée un effet ciseaux. Les économies d’échelle sont l’une des solutions possibles. La gestion d’actifs se transforme vers des métiers de service (livraison de data, reporting…). Les sociétés de gestion ont à recréer un nouveau business model, sans doute plus industriel. Cette transformation peut aussi passer par le développement de nouvelles stratégies, en particulier en real assets.

« Je m’attends à des prises de participations importantes, entre autres de la part d’acteurs étrangers »

La plateforme constituée avec Ostrum AM a-t-elle vocation à attirer d’autres assureurs ou asset managers ?

La plateforme est adaptée pour accueillir de nouveaux acteurs. Celle-ci peut tenir un rôle de consolidateur pour des groupes d’assureurs cherchant à externaliser la gestion de leur actif général, ou des groupes de protection sociale visant un partenariat pour leur société de gestion captive. Egalement, la plateforme pourra travailler avec des fonds de pensions européens voire de fonds souverains. Nous serons, en effet, capables d’offrir une gestion sous contrainte extrêmement précise, un niveau de service aux meilleurs standards du marché, tout en pratiquant une tarification adaptée. C’est pour nous une façon de capter le marché de demain.

Cela fait plusieurs années que l’on évoque une concentration du marché de la gestion d’actifs. Pourtant, à l’exception du rachat de Pioneer par Amundi, peu d’opérations ont pour l’instant été réalisées. Ce mouvement va-t-il s’accélérer dans les années à venir ?

Cette concentration est inévitable. Soumis à des problématiques de ratio d’emprise, les grands investisseurs ont besoin de se positionner sur des fonds de taille plus conséquente. Les projets de rapprochement ou de partenariat entrent dans cette logique. Le marché bruisse de discussions. Je m’attends à des prises de participations importantes, entre autres de la part d’acteurs étrangers. Le marché français leur semble une cible intéressante. La Loi PACTE va sans doute les inciter à investir encore davantage.

Pourriez-vous appliquer un modèle multi-boutique ?

C’est un modèle vertueux dans le sens où cela permet de garder l’ADN et la qualité de la gestion d’une société. Mais c’est un modèle qui doit être contrôlé, notamment d’un point de vue des risques et de la conformité. Le monde de la gestion d’actifs est aussi et avant tout celui de la gestion des risques.

« Un nouveau fonds, investi sur les green bonds, va prochainement bénéficier du Label Greenfin »

Aujourd’hui, 58 % des actifs de LBPAM sont en gestion responsable, vous comptez arriver à 100 % d’ici la fin de l’année 2020. Comment atteindre cet objectif ?

Pour bénéficier du label ISR, un fonds doit répondre à des exigences très précises. Obtenir un label d’État est une garantie, au même titre que celles d’un label bio ou des normes ISO. Elle a donc de la valeur. 58 % de nos fonds étaient labellisés au 31 décembre 2019, et au total, la gestion responsable représente près de 138 Md€ sur les 244 Md€ que nous gérons. Nous sommes en ligne avec notre objectif d’être prêts pour l’été 2020. Des ressources spécifiques ont été dédiées à cette réalisation. En lien avec l’AMF, nous avons aussi mis en place une approche nous permettant d’obtenir leur accord dans un délai très court.

L’Europe serait-elle à votre avis en capacité de reprendre en main ces sujets, de lancer son propre label « ISR » ?

Ce projet prendra du temps et ne sera sans doute pas facile à mener, mais je pense qu’il se concrétisa un jour ou l’autre. Il suffit de regarder les catastrophes climatiques qui ont lieu autour de nous, en Australie par exemple, ou les problèmes sociaux, ou de gouvernance, pour se convaincre de l’intérêt d’agir. Les investisseurs institutionnels ou particuliers pousseront dans ce sens. Leur prise de conscience forcera des portes que les régulateurs n’auront peut-être pas su ouvrir.

Le label Greenfin a été lancé en 2019. Quel regard portez-vous sur cette initiative ? Aujourd’hui seul le fonds LBPAM ISR Actions Environnement a été labellisé comme tel. D’autres fonds pourraient-ils suivre cette voie ? 

Toutes initiatives permettant de sensibiliser le grand public et les investisseurs sur les problématiques environnementales vont dans le bon sens. Ce sont des sujets qui nous tiennent à cœur. Nous allons d’ailleurs prochainement labelliser un nouveau fonds, investi sur les green bonds.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)