Les principaux chiffres récoltés lors de notre enquête sur le bonheur au travail auprès des avocats, des notaires et des juristes d’entreprise mettent en lumière qu’ils sont heureux d’exercer leur métier. Une donnée qui n’est pas dénuée de contradiction puisque seule la moitié d’entre eux pensent avoir trouvé un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, de la même manière qu’ils estiment majoritairement travailler trop. Le paradoxe s’explique certainement en observant leurs conditions de travail.

L’environnement professionnel des avocats, notaires et juristes d’entreprise est un sujet sensible. Il est si varié que chaque affirmation le concernant peut être contestée. Le lecteur ne manquera pas de comparer les éléments développés dans cette étude avec sa propre expérience ou celle de son entourage. Néanmoins, les réponses reçues couplées à nos recherches et entretiens permettent de dégager quelques grandes ­tendances.

Tout est une question de temps de travail

Les juristes sont heureux. Ils le disent à 69,8 %. Les avocats comme les notaires et les juristes d’entreprise sont en effet très attachés à leur profession. Ils se sentent utiles, sont stimulés intellectuellement, apprécient la variété des sujets sur lesquels ils travaillent et sont convaincus de l’importance de leur présence dans la vie économique des entreprises et celle de la cité. D’ailleurs, les étudiants en droit sont toujours aussi nombreux puisqu’ils étaient plus de 208 000 en 2018, contre 204 000 en 2014. Autre chiffre marquant : le poids du droit dans l’économie française. Selon le Cercle Montesquieu et Day One, il s’élevait à 5,3 milliards d’euros en 2015.

La carrière juridique ne déçoit donc vraisemblablement pas les anciens étudiants ayant choisi ou rejoint la filière. En revanche, si l’exercice de leur profession les satisfait, ils mettent tout de même l’accent sur les difficultés qu’ils rencontrent.
La moitié des répondants (46,5 %) pensent travailler trop et 46,5 % des sondés avouent ne pas avoir atteint d’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Tout est donc une question de temps de travail. Les avocats et les notaires, en qualité de professionnels indépendants, ne comptent pas leurs heures. Les juristes d’entreprise non plus. Pourtant liés par un contrat de salariés, ils sont nombreux à faire beaucoup plus de 35 heures par semaine.

Les véritables éléments de bien-être au travail

Le niveau d’engagement professionnel des juristes est directement lié à la technicité de leur métier. Les spécialistes du droit travaillent beaucoup parce que leur intervention est stratégique. De la qualité de leur prestation dépend le sort des individus qu’ils défendent, la survie d’une entreprise, la validité d’un projet, l’évitement du risque de condamnation pénale, la protection des actifs d’une marque, etc. Et à mesure qu’ils se rapprochent des centres de décision, la somme de travail augmente encore plus.

Or, les structures dans lesquelles exercent les avocats, les notaires mais aussi les juristes (si l’on exclut les grandes entreprises dans lesquelles les questions de RSE et d’éthique prennent de plus en plus d’importance) ne s’attachent que rarement aux véritables éléments de bien-être au travail. Peu de programmes de prévention de la violence physique et morale, des discriminations, peu d’attention portée à l’égalité de rémunération ou de la charge de travail, peu de conditions d’accueil de personnes en situation de handicap ou d’accompagnant, etc. Et même lorsque le bien-être au travail prend la forme de simple mesures facilitant la vie ou améliorant le quotidien, comme les modes de garde des enfants, les services de santé ou de soin, les installations sportives, etc., il n’est pas l’apanage des professions juridiques qui sont très en retard par rapport à d’autres secteurs d’activité sur ce paramètre. Aurélien Beau, responsable du bureau de Paris de l’enseigne Urban qui dispense un service de massage, des séances d’ostéopathie et des soins du corps, confirme ce constat : « Si quelques structures juridiques font appel à nos services, comme les cabinets d’avocats Latournerie Wolfrom & Associés, Winston & Strawn ou Jones Day, le monde du droit est loin du secteur des technologies en matière de qualité de vie au travail. » Le manque de comités d’entreprise au sein des sociétés serait l’une des raisons de l’absence de ce genre de prestations.

Une occasion a ne pas manquer

C’est dans ce contexte que les locaux et leur aménagement revêtent toute leur importance. Car s’il est difficile, voire impossible, pour la plupart des structures d’organiser des conditions optimales de travail (respect des horaires, répartition équitable des tâches, congés, équité salariale, etc.), réfléchir à des espaces adaptés aux missions de chacun, au travail en équipe aussi bien qu’individuel, à l’épanouissement tout en assurant la confidentialité inhérente aux besoins des juristes paraît accessible. Il n’est pas question d’avoir des locaux comme ceux de Google avec leur lab, leurs pods (ces micro-espaces dotés d’outils de visioconférence), leurs 2CV transformées en bureaux high-tech, leur cantine gratuite et salles de jeux. Mais, de plus en plus, les études de notaires quittent les immeubles haussmanniens dans lesquels elles ont été créées plusieurs siècles auparavant et misent sur le design et une bonne acoustique plus que sur les colonnes de marbre et les parquets grinçants. Il arrive fréquemment qu’une croissance de l’équipe soit l’occasion de déménager, les dirigeants sachant convaincre les associés qui ne veulent pas abandonner leur bureau de 40 mètres carrés de se laisser séduire par un espace adapté au collectif. Voire de poser leurs valises dans un espace collaboratif. Plusieurs cabinets d’avocats et quelques études de notaires ont fait le choix de bénéficier des prestations offertes par les lieux de coworking (locaux calmes, lumineux et confortables, connexions sécurisées, salle de sport, de détente, etc.) comme le fait de travailler entourés d’autres professions pour l’enrichissement personnel et parfois le développement du business. Ainsi, le notaire Jean Rebérat a-t-il installé son équipe dans un immeuble WeWork à Paris. Une vraie rupture par rapport à la plupart de ses confrères.

Claquer la porte

Finalement, il apparaît que les juristes juniors ne se préoccupent pas de leur bien-être au travail. Les structures professionnelles considérant que les premières années d’exercice sont celles de la formation, les juniors, tous logés à la même enseigne, triment, ne comptent pas leurs heures et cherchent à tout prix à se démarquer, à sortir du lot. Elles sont en position de force car ce ne sont pas les candidats qui manquent. La concurrence est rude, obligeant ces derniers à mettre de côté leurs prétentions à un équilibre de vie.

En revanche, là où les conditions de travail commencent à prendre de l’importance dans le choix d’une structure d’exercice, c’est lorsque les professionnels prennent du galon et ont atteint un haut niveau d’employabilité. Le rapport de force se renverse : ils sont susceptibles de claquer la porte si les conditions de travail ne leur conviennent pas. Raison pour laquelle les structures aux effectifs les plus stables sont celles qui parviennent à offrir des modes d’exercice qui sont fonction des souhaits des individus. « Il arrive fréquemment qu’un collaborateur ne poursuive pas l’objectif de devenir associé, confie l’associé Louis Degos, qui dirige une trentaine d’avocats à Paris. La solution pour nous est de permettre à chacun d’exercer son métier selon ses exigences personnelles. » Pour le managing partner de K&L Gates, faire varier les montants des rémunérations, parfois du simple au double, serait une façon de s’adapter aux personnalités de chacun, à leur spécialité et à leur engagement dans le cabinet. Il est donc raisonnable de penser que celui qui travaille jour et nuit par passion et appétit financier gagne plus que celui qui choisit de consacrer une partie de son temps à une autre activité comme l’enseignement ou à sa vie de famille. La diversité des modes d’exercice et des attentes personnelles sont si importantes que chacun pourra alors définir son propre cadre de bien-être au travail.

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