Les huissiers de justice se sont accommodés de la loi Macron en 2015 portant ouverture des professions juridiques réglementées. L’officier public et ministériel, qui œuvre pour la bonne administration de la justice, détient toujours les conditions pour se positionner en régulateur essentiel de l’économie.

« Être huissier de justice, ce n’est pas simplement exécuter des décisions de justice et mettre des gens dehors », se sent obligée de préciser d’emblée l’huissier de justice Christine Vallès, installée à Toulouse depuis 1995. Et pourtant, cela ne s’impose pas comme une évidence. Pour le commun des mortels, la profession se résume parfois à cet homme en costume strict qui vient ouvrir de force un domicile pour en expulser les habitants mauvais payeurs. Christine Valès offre, au contraire, l’image d’une profession présente à la fois en amont, pendant et en aval du procès. Car, outre les missions monopolistiques que sont la signification et l’exécution, les huissiers de justice effectuent des activités concurrentielles et d’autres encore, qui leur sont accessoires, comme la vente aux enchères. Grâce à la création de la profession de commissaire de justice, en 2022, l’huissier de justice compte bien redorer l’image négative d’une profession que l’on croit vouée à l’exécution.

D’huissier de justice à commissaire de justice

C’est la grande mesure prévue par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « loi Macron » du 6 août 2015 : la fusion des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. Cette disposition, qui sera effective entre le 1er janvier 2019 et 2022, organise ainsi la création d’une nouvelle profession, celle de commissaire de justice. Christine Valès précise : « Cette fusion implique de grands changements pour la profession, et je vois la réforme de manière très positive. Elle présente notamment une réelle opportunité pour les jeunes qui auront une meilleure connaissance des métiers de l’art. »

En effet, pour être qualifiés de commissaires de justice, les huissiers devront suivre une formation spécifique de 60 heures ; elle porte, notamment, sur le droit et la pratique de la vente de meubles aux enchères publiques. S’ils peuvent déjà exécuter cette activité, ils sont aujourd’hui cantonnés aux villes dépourvues de commissaires-priseurs. La création de cette nouvelle activité est une aubaine pour les huissiers qui accéderont aux missions d’inventaire, de valorisation et de vente aux enchères de tous les types de biens ; des transactions qui représentent près de 2,7 milliards d’euros par an. Selon Christine Valès, « l’important est que la profession de commissaire de justice soit polyvalente et ne relève plus essentiellement de l’exécution ».

Favoriser l’interprofessionnalité

Outre cette fusion des professions, la loi Macron de 2015 favorise l’interprofessionnalité. L’idée est de créer des structures dans lesquelles le justiciable pourra trouver, réunies en un même lieu, un panel d’activités juridiques. « Rassembler les acteurs de la justice, au-delà du positionnement physique, permet de travailler de manière cohérente du début jusqu’à la fin d’un dossier, et c’est aussi une chance pour le justiciable », explique l’huissier.

Par ailleurs, la loi organise la liberté d’installation des huissiers de justice. Cette mesure phare en a séduit plus d’un. En effet, dès son ouverture, le 1er janvier 2018, la plateforme réceptionnant les candidatures à la création d’offices a accueilli plus de 2 400 demandes. Cet engouement permettra de remplir l’objectif du gouvernement : l’installation de 202 nouveaux huissiers de justice et de 41 nouveaux commissaires-priseurs judiciaires. « Contrairement aux notaires, les huissiers de justice n’ont pas demandé une telle mesure », précise Christine Valès. Les tirages au sort ayant eu lieu au printemps dernier, il est encore tôt pour établir un bilan statistique, les installations étant en cours. Selon l’intéressée, « la difficulté est de savoir si les jeunes qui ne peuvent pas acheter un office public ministériel vont saisir cette chance de création d’une étude. Le fait de commencer de zéro, sans clientèle et avec ses fonds propres, peut en effrayer certains. » L’acquisition d’une étude reste très onéreuse et sa constitution est comparable à une création d’entreprise, obligeant les huissiers à investir dans des locaux et à trouver des partenaires financiers. La nouvelle réglementation ne suffira pas à transformer la profession, elle aura besoin de mobiliser ses profils les plus entrepreneurs pour se renouveler et se risquer sur de nouveaux marchés.

  • 3 251 huissiers de justice au 1er janvier 2018
  • 10 000 clercs et employés
  • 2 050 études
  • 8 milliards d’euros recouvrés par an
  • 11 millions d’actes signés par an
  • Création de 202 études d’huissiers de justice à la suite de la loi Macron de 2015
  • 35 zones d’installation libre sur le territoire

 

Vers une compétence nationale des huissiers de justice ?

En application de la loi du 6 août 2015, la compétence territoriale des huissiers de justice a été sensiblement étendue. Peuvent-ils agir pour autant sur l’ensemble du territoire ? Depuis le 1er janvier 2017, l’huissier peut établir des procès-verbaux de constat partout en France, alors que ses compétences étaient auparavant territoriales. L’huissier de justice peut désormais signifier des actes et procéder à l’exécution des décisions de justice dans le ressort de la cour d’appel dans lequel il est établi et non plus seulement dans celui du tribunal de grande instance. Selon Christine Valès, « la compétence nationale des huissiers paraît difficile à mettre en place. Il nous faut être proche du justiciable lors de signification d’actes ou d’exécution de décisions de justice. Personnellement, je préfère rester dans mon secteur géographique, être accessible pour les clients et avoir un contact permanent avec eux ». Autrement dit, la digitalisation et la dématérialisation des activités juridiques ne l’emportent pas sur l’aspect humain. Du moins, pas pour l’instant.

Clémentine Anno