La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) lance un contrôle à propos du délai de conservation des images de vidéoprotection fournies dans le cadre de l’affaire Benalla. Les autorités judiciaires outrepassent-elles la réglementation destinée à protéger les individus enregistrés par les caméras installées sur la voie publique ? Ou comment un scandale politique révèle des pratiques policières à la limite de la légalité.

Tout commence avec la publication de vidéos amateurs. Le 1er mai dernier, Alexandre Benalla, proche collaborateur d’Emmanuel Macron et chargé de missions de sécurité à l’Élysée, est filmé lors d’une manifestation place de la Contrescarpe à Paris. Les images sont accablantes. On y voit l’homme, portant un uniforme et un brassard de la police alors qu’il ne fait pas partie de l’institution, violenter un couple de manifestants. L’affaire prend encore de l’ampleur lorsque d’autres images, cette fois-ci issues de caméras de vidéoprotection installées sur les lieux de la manifestation et filmant la même scène, sont communiquées de façon illégale à Alexandre Benalla le 18 juillet, date à laquelle Le Monde révèle l’affaire. Alors qu’une enquête préliminaire est ouverte pour violence contre des policiers et qu’Alexandre Benalla est mis en examen, la Cnil, elle, décide de se pencher sur le fait que ces images aient été conservées plus de 30 jours, c’est-à-dire au-delà du délai légal de conservation.

Vidéoprotections visées

Avant toute chose, il faut distinguer deux types d’enregistrement vidéo. Pour Alain Bensoussan, associé fondateur du cabinet Alain Bensoussan Avocats et spécialiste du droit de l’informatique et des technologies, « la vidéoprotection est trop souvent confondue avec la vidéosurveillance. Or cette dernière ne peut être placée dans un espace public », déclare l’avocat. Dans le cas qui nous occupe ici, il convient de parler de vidéoprotection : « Il s’agit d’une caméra placée en extérieur, en intérieur ouvert au public ou bien en intérieur mais pouvant saisir du public », poursuit-il. Et c’est à ce type d’installation que la Cnil s’intéresse et aux images qu’il fournit. Ces installations visent à prévenir les actes de terrorisme, les atteintes à la sécurité des personnes et des biens mais aussi à constater des infractions. L’insécurité mais surtout le risque terroriste planant sur la France depuis plusieurs années favorisent la mise en place de ces systèmes qui se banalisent. Pour éviter qu’ils ne se multiplient au mépris du respect de la protection des droits des personnes filmées, leur mise en place est soumise, dans le code de la sécurité intérieure, à l’autorisation d’un représentant de l’État : « C’est le préfet qui autorise ou non leur installation puisque seules les autorités publiques peuvent filmer la voie publique », précise Alain Bensoussan.

Délai de conservation contrôlé

Alors que trois fonctionnaires de la préfecture de police de Paris, soupçonnés d’avoir remis à Alexandre Benalla les images issues des systèmes de vidéoprotection installés place de la Contrescarpe à Paris, ont été mis en examen pour « détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection et violation du secret professionnel », la Cnil se saisit de la question du délai de conservation de ces enregistrements. En effet, elle se substitue à la CNV (commission nationale de la vidéoprotection) au départ chargée d’une mission de conseil et d'évaluation de l'efficacité de ce système de caméras, et d’émettre « des recommandations au ministre de l'Intérieur relatives aux caractéristiques techniques, au fonctionnement ou à l'emploi des systèmes de vidéoprotection », en application de l’article L251-5 du code de la sécurité intérieure. Dans d’anciennes recommandations, elle pose déjà le principe selon lequel les données personnelles ne peuvent être conservées de façon indéfinie dans les fichiers informatiques. « En matière de vidéoprotection, la durée de conservation des images est d’un mois », rappelle Alain Bensoussan. Au cours de ces trente jours, la police et la gendarmerie, dans le cadre d’une enquête judiciaire ou de flagrance, sont compétentes pour accéder à ces images, dans le cas où des infractions auraient été enregistrées. Au-delà de ce délai, les données doivent être détruites. »
Pour vérifier la durée de conservation d’un enregistrement, la Cnil doit suivre un raisonnement en plusieurs étapes. Elle vérifiera d’abord que les dispositions de la loi informatique et libertés ont été correctement mises en œuvre par la police. Du côté de la Cnil, on confirme : « Nous nous assurerons notamment que l’autorité judiciaire a bien respecté les droits des personnes dont les données sont traitées, à savoir le droit à l’information et le droit d’accéder aux données », détaille Thomas Dauthieu, directeur adjoint de la conformité à la Cnil. « Ensuite, nous vérifierons que ces images ont été conservées pendant la durée légale », poursuit l’expert. Dans le cas de l’affaire Benalla, « la Cnil a vérifié les conditions de mise en œuvre du dispositif de vidéoprotection par la préfecture de police de la ville de Paris avant les faits et les suites de ce contrôle sont en cours d'instruction », complète Thomas Dauthieu. « S’il s’avère que le délai de conservation des images dépasse un mois, les enregistrements de la vidéoprotection comme moyen de preuve dans la procédure seront nuls », prévient Alain Bensoussan. Un dénouement qui dans tous les cas ne remettrait pas en cause les faits reprochés à Alexandre Benalla, d’autres pièces prouvant sa présence lors d’une manifestation en uniforme de policier.

Absence d’application du RGPD

L’avocat attire également l’attention sur la nuance qu’il convient de faire entre les différents types d’images enregistrées par le système de vidéoprotection situé place de la Contrescarpe. « Les caméras installées sur la voie publique peuvent saisir des images relevant de la vie privée mais aussi de la vie publique », détaille-t-il. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on ne parle pas de vie privée qu’en privé. « Quand une personne se déplace en extérieur, elle est en déplacement privé, bien qu’elle soit sur la voie publique », explique l’expert. En revanche, si la personne prend part à un événement public, on parlera de vie publique. « Ce n’est qu’une fois qu’elle aura quitté cette manifestation que l’on pourra reparler de vie privée sur la voie publique », décrypte Alain Bensoussan. Les enregistrements obtenus par les vidéoprotections lors de la manifestation du 1er mai sont donc des images de vie publique, qui n’en demeurent pas moins soumises à la réglementation générale de la protection des données. En bref, les autorités judiciaires sont toujours susceptibles d’exploiter de telles données dans le cadre d’une procédure. À la question de savoir si la récente entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD) touche les vidéoprotections, l’avocat reste formel : « Le RGPD ne s’applique que lorsque des caméras sont installées dans des lieux non ouverts au public. Dans le cadre de l’affaire Benalla, ce n’est pas le cas : les vidéoprotections sont installées sur la voie publique et donc régies par le code de la sécurité intérieure », conclut-il.

Fichage politique ?

L’affaire Benalla et la question relative à la protection des données sont également liées dans une autre affaire qui a secoué cet été certains utilisateurs de Twitter. Le 9 août dernier, la Cnil a annoncé avoir été saisie de plusieurs plaintes concernant l’étude réalisée par une ONG belge de lutte contre la désinformation, EU DisinfoLab. L’ONG aurait listé les données personnelles des utilisateurs les plus actifs sur l’affaire Benalla. La Cnil devra donc s’assurer que les fichiers constitués par EU DisinfoLab respectent le cadre légal prévu pour les fichiers informatiques et soumis à la loi informatique et libertés.
 

Après l’effet politique de l’affaire, et notamment la remise en question de l’organisation de l’Elysée, ce sont aujourd’hui ses répercussions juridiques qui occupent l’espace public. Pourvu qu’il en ressorte une meilleure protection de la vie privée des français.

Marine Calvo