Avec 13 000 membres et plus de 350 sociétés adhérentes, le CRiP (Cercle de confiance des responsables d’infrastructure, de technologies et production IT) accompagne les directions technologiques informatiques dans leur transformation. Face à la pénurie de talents qui touche le secteur de la tech, Sylvie Roche, sa directrice générale, présente les perspectives en la matière.

Décideurs. Pourriez-vous présenter le CRiP en quelques mots ? 

Sylvie Roche. L’association professionnelle du CRiP s’inscrit comme un acteur majeur de l’écosystème IT aux côtés des directions technologiques et informatiques, et ce, depuis quinze ans. D’Airbus à Carrefour en passant par Axa, le groupe Rocher ou la presque totalité des ministères, nos 350 sociétés adhérentes se réunissent entre pairs dans un cercle de confiance. Avec un marché qui représente des investissements annuels IT de plus de 30 milliards d'euros, l’association aide notamment ses adhérents dans leur stratégie et approche technologique face à une offre toujours plus complexe et foisonnante. À destination de notre collège d’utilisateurs, composé de directeurs informatiques et de CTO [Chief Technical Officer, directeur des technologies informatiques en français, Ndlr], le CRiP offre l’opportunité de rencontrer et d’échanger avec la centaine d’entreprises qui composent le collège des offreurs de solutions et services. Au sein de différents groupes de travail et sessions d’échanges, les adhérents "utilisateurs" du CRiP peuvent ainsi soumettre leurs problématiques et besoins pour tirer profit de ce processus de marketing inversé. En réponse, les offreurs bénéficient d’un retour de terrain qui leur permet de proposer des solutions dédiées aux cas d’usages.

Quel état des lieux faites-vous en matière de recrutement ? 

En raison du renouvellement constant des technologies et de l’accélération des innovations, il existe un décalage permanent entre les compétences disponibles sur le marché et les expertises recherchées. Dans ce contexte en perpétuel mouvement, les directions informatiques s’orientent vers des solutions technologiques qui nécessitent des connaissances toujours plus pointues. La progression du cloud et de ses services en constitue un exemple significatif. Alors qu’une multitude de nouveaux savoir-faire en la matière naissent et sont recherchés par les entreprises, dont son administration, sa sécurité et la maîtrise des coûts associés, la formation et la disponibilité des experts restent encore insuffisantes. 

"Il existe un décalage permanent entre les compétences disponibles sur le marché et les expertises recherchées" 

En parallèle, bien que cela semble paradoxal, de nombreuses sociétés présentent une dette technique où matériel ancien et expériences vieillissantes vont de pair. La pénurie des talents s’inscrit donc autant dans les innovations que dans les technologies vieillissantes. Ainsi, pour contrer cet effet et former les jeunes qui viendront combler les départs à la retraite, le Crédit agricole et La Banque postale ont notamment fondé une Mainframe Academy.

Enfin, le secteur se confronte également à un problème d’attractivité. En règle générale, un jeune ingénieur qui arrive sur le marché souhaite davantage travailler dans la data ou l’IA. Ces nouveaux métiers informatiques n’obligent pas à être sur le pont sans cesse et répondre à des astreintes contrairement à ceux qui font "tourner l’informatique".

Quelles sont les initiatives du marché relatives à la rétention des talents ?  

Pour toute entreprise, avant de retenir les talents, il faut les attirer. Cela constitue un défi pour les directions de ressources humaines qui doivent se réinventer. Par le passé, le recours à un cabinet de recrutement et à un chasseur de tête suffisait à dénicher la perle rare. Désormais, le peu de candidatures et la tension sur le marché leur imposent d’employer une approche multicanal en multipliant les contacts à travers les réseaux sociaux et les communautés de professionnels ainsi que ceux, ponctuels, issus de l’organisation d’événements. 

Dans le même sens, les cartes ont été totalement rebattues pour conserver les talents. Il y a vingt ans, un bon salaire le permettait. Désormais, les jeunes aspirent à plus d’autonomie, du sens dans leur travail et des méthodes managériales novatrices. À ce titre, il faut proposer aux collaborateurs des contextes enrichissants et des projets porteurs de sens.  

"Depuis deux ans, nous constatons une régression de 30% des filles au sein des enseignements scientifiques"

La place des femmes constitue un enjeu analogue. Depuis deux ans, nous constatons une régression de 30% des filles au sein des enseignements scientifiques. En partenariat avec la fondation Femmes@numérique, nous avons récemment lancé le "kit de 3e" afin d’inciter nos 350 sociétés adhérentes à accueillir des jeunes filles en stage de troisième. Nous nous fixons pour objectif que d’ici 2023, 3500 d’entre elles aient pu vivre le quotidien d’une direction informatique et des métiers remarquables qui les composent. D’ores et déjà, certaines sociétés s’unissent au mouvement, telles que Canal +. Dans le sillage de cette opération, le Crédit agricole entend compter 25% de femmes à des postes opérationnels d’ici 2025.

De quelle manière le mode de travail en freelance s’intègre-il à ce changement de paradigme ?    

Les jeunes qui se lancent en freelance cherchent plus de liberté et d’autonomie. En premier lieu, il faut différencier les grandes entreprises des ETI et PME. Les grands groupes, qui possèdent des structures IT importantes, font appel à des freelances de façon raisonnée et ponctuelle sur des postes très spécifiques. A contrario, les plus petites structures y ont davantage recours afin de contrer la pénurie de talents et d’expertise dont les effets sont plus significatifs pour leur organisation IT plus modeste.

Quelles sont les perspectives du secteur à moyen terme selon vous ?  

Aujourd’hui, de nombreuses directions informatiques souhaitent réinternaliser les fonctions clefs nécessaires à la gestion et à la maîtrise de leurs systèmes d’informations, auparavant externalisées dans un souci d’économies. 

Dans le même temps, elles souhaitent bénéficier des innovations du cloud, qui renvoie à une nouvelle forme d’externalisation. Pourtant, les compétences relatives au cloud sont toujours insuffisantes sur le marché, ce qui accentue les besoins. Améliorer et accélérer la formation à ces nouvelles technologies et développer la présence des femmes dans le secteur IT sont indispensables pour y remédier.

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph