La septième édition du forum China Connect se déroulera les 1er et 2 mars prochains à la Maison de la Chimie (Paris 7e). Laure de Carayon, directrice de cette grand-messe consacrée aux tendances digitales dans l’empire du Milieu, revient sur les origines de ce projet fédérateur pour les marques sinophiles. À travers cet entretien, on découvre aussi un panorama des exigences de ce marché unique.

Décideurs. Comment est venue l’idée de lancer l’événement China Connect ?

Laure de Carayon. Lorsque je me suis spécialisée dans le brand content au sein de l’agence Carat, les acteurs du secteur se tournaient uniquement vers les États-Unis pour capter les futures tendances. En feuilletant un hors-série publié par Ad Age consacré à la Chine début 2010, je me suis rendu compte des potentialités de ce pays et de l’inspiration que les Européens pouvaient y puiser. Je suis partie dès cet été 2010 en Chine pour traiter le brand content à travers les codes de ce pays. Les nombreuses rencontres sur place avec des marques et des agences reconnues m’ont permis de publier un numéro spécial qui a fait parler de lui. Plusieurs personnes ont réservé un accueil enthousiaste à cette parution et en novembre de la même année, je suis retournée en Chine avec l’idée d’organiser cette conférence, qui a vu le jour en juin 2011.

 

Quelle est la philosophie de ces deux journées d’échanges et de rencontres ?

Dans l’imaginaire collectif, le marché chinois est encore largement associé au secteur du luxe occidental. Les problématiques politiques et environnementales tiennent aussi le haut du pavé depuis de nombreuses années lorsque l’on évoque ce pays. Le parti pris de notre événement est depuis le départ de changer de paradigme afin de se concentrer sur l’univers digital en Chine dont les pionniers étaient Procter & Gamble ou encore Unilever. Des acteurs issus d’une grande variété de secteurs s’y rassemblent ainsi pour construire des expertises transverses. La complexité des pratiques numériques locales pousse les marques à chercher des conseils de qualité. L’idée au centre de China Connect est d’amener le meilleur de l’Internet chinois en Europe. Avec notre plate-forme en anglais c’est une manière pour nous de favoriser les interactions ainsi que le partage de retours d’expériences et de meilleures pratiques. Pendant quarante-huit heures, nous donnons l’accès à un formidable espace de networking et à des talents décisionnaires en Chine. Les réseaux sociaux, les contenus (notamment vidéos), l’e-commerce et le search sont les quatre piliers de l’événement. Pour faire exister une marque dans l’empire du Milieu, il est indispensable de maîtriser ces maillons de la chaîne de valeur. Mieux vaut maîtriser les usages très mouvants du numérique chinois afin de faire connaître ses produits et contenus, développer puis animer une communauté et, in fine, vendre.  

 

Les codes du « consommateur entrepreneur » chinois sont voués à être décryptés, notamment au filtre de la data.

 

Quelles seront les principales thématiques mises en lumière lors de l’édition 2017 de China Connect ?

De nombreuses keynotes, conférences et workshops vont se succéder pendant ces deux journées afin d’approfondir un maximum de problématiques. Le marketing et l’influence (notamment via les plates-formes de livestream), les enjeux du e-commerce et du online to offline, les messageries, applications et le social monitoring, ou encore l’innovation chinoise seront des thèmes majeurs. L’accent sera aussi mis sur les « key opinion leaders », ces individus qui ont su se bâtir une gigantesque aura sur le Net. L’engagement de ces personnalités implique de nombreux défis pour les marques qui trouvent en face d’elles de nouveaux interlocuteurs très crédibles aux yeux des consommateurs. Par ailleurs, le marché chinois est en demande permanente d’expériences nouvelles. Les marques friandes du test and learn ont une opportunité fantastique à saisir.

 

En quoi le marché chinois du digital est-il si spécifique ?

En Chine, Internet est né en 1997. L’écosystème numérique s’y est donc formé très récemment. De ce fait, certaines étapes ont été court-circuitées et le marché suit les usages : les nouveaux projets sont presque « mobile only » aujourd’hui. Les silos s’effacent là-bas plus vite qu’ailleurs. On parle de data, de nouvelles technologies, des relations entre l’online et l’offline… En toile de fond, le gouvernement central contrôle cet univers d’une main de fer. En parallèle, la poussée du nationalisme conduit à la progression de la préférence des marques chinoises tandis que ces dernières gagnent en puissance et en performance. Ces tendances laissent craindre aux marques occidentales que leur âge d’or où l’argent coulait à flot est terminé.

 

Que manque-t-il aujourd’hui aux sociétés occidentales pour s’imposer en Chine ?

L’environnement digital est complexe et changeant par nature. En Chine, cette assertion se vérifie tous les jours. Il y avait 500 millions d’internautes chinois en 2011 et on en compte 750 millions aujourd’hui. Une chose est sûre : les grandes marques ne découvrent pas le marché chinois en 2017. Certaines ont déjà acquis une certaine maîtrise des normes en vigueur et des besoins exprimés sur place. Toutefois, l’analyse des informations et la recherche de partenaires pertinents requièrent un travail d’enquête constant. Chaque jour, de nombreuses entreprises européennes souhaitent se lancer sur ce marché. Ces dernières ont besoin d’intermédiaires de confiance pour se poser les bonnes questions et arriver dans les meilleures conditions. Vis-à-vis de l’extérieur, les trois géants Baidu, Alibaba et Tencent sont les repères de l’écosystème pour tous les métiers du digital. À l’instar des Gafa, ces groupes ont vocation à aspirer les nouvelles initiatives de leurs domaines. Il y a pourtant un nombre croissant d’acteurs qui émergent grâce à des offres de plus en plus sophistiquées. Ces derniers ont su acquérir une légitimité dans un environnement hyper compétitif. Comme ces jeunes sociétés, China Connect a un mot d’ordre en 2017 : « Crack the codes » ! Les codes du « consommateur entrepreneur » chinois sont voués à être décryptés, notamment au filtre de la data.

 

Les acteurs chinois partent à la conquête du monde et rivalisent avec les Américains dans de nombreux secteurs

 

Les pratiques numériques harmonisent les comportements, comme l’a montré l’avènement d’Apple ou de Facebook. Pourquoi le marché chinois semble résister à ce mouvement de fond ?

Les Chinois ne résistent pas, ils ont « créé » leurs Apple et Facebook nationaux. Les Chinois ont toujours promu un Internet souverain en s’opposant à un Internet mondial qui serait régi par les seuls États-Unis. C’était le fameux soft power de ces deux grandes puissances qui était en question. Selon l’expression consacrée, le « Great Firewall » demeure solide sinon impénétrable aux accesseurs de VPN [ndlr : Virtual Private Network, ou réseau privé virtuel] ! Aujourd’hui, très peu de pays peuvent se targuer d’avoir un Internet local si puissant. Cette stratégie a mené à une montée en puissance progressive des acteurs locaux. Aux yeux des sociétés occidentales, habituées aux règles du capitalisme, c’est évidemment de la concurrence déloyale. Seul LinkedIn est parvenu à s’imposer en Chine ; les autres plates-formes globales connaissent de grandes difficultés à percer. En bref, les Chinois continuent de s’inspirer de l’extérieur pour adapter ensuite l’offre au « mindset » local. Toutefois, portés par une recherche d’innovations toujours plus sensible, ces acteurs partent à la conquête du monde et rivalisent avec les Américains dans de nombreux secteurs. Pensons à Huawei, surveillé de très près par Apple.

 

Pourriez-vous nous présenter une pépite chinoise à qui vous prédisez un grand avenir en Europe ?

Le marché du live stream s’agite sérieusement. Ce nouveau format de communication n’a pas encore véritablement décollé en Occident. Youtube Live et Facebook Live se développent mais l’ampleur du phénomène n’est en rien comparable à ce que l’on peut voir en Chine. Ce qui frappe, là encore (comme Tencent qui puise l’essentiel de ses revenus non de la publicité mais du gaming), c’est le modèle économique des plates-formes, un modèle freemium comme celui de l’application Live.me, développée par Cheetah Mobile. Tout est pensé pour améliorer les interactions entre les influenceurs et leurs viewers : stickers à introduire dans la vidéo, des emojis pour exprimer ses émotions en direct, remises de cadeaux électroniques… La grande majorité des utilisateurs de cette application vient déjà des États-Unis ou du Royaume-Uni, et selon moi, leur croissance n’est pas finie. D’autres peuvent aussi être citées, comme l’application Huajiao du deuxième moteur de recherche chinois Qihoo360.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin

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