Organisés en plein cœur de San Francisco, les French American Business Awards rassemblent chaque année toute la communauté tech franco-américaine. Objectif : networker et célébrer les grands succès. Récit d’un dîner plus que parfait.

Il est 19 heures. À mesure que le jour tombe, la persistante frénésie du financial district cède aux sirènes de la torpeur. Les incessants bruits de klaxons s’estompent, le trafic desserre progressivement son étau pour laisser respirer la ville. Depuis trois ans environ, ce quartier situé au nord de San Francisco s’est attiré les faveurs des entrepreneurs qui boudent la Silicon Valley. « Trop cher », « trop loin », « trop isolée »... plaident ceux qui ont fait le choix du bouillonnant city center. Comme Renaud Laplanche – le fondateur de Lending Club qui a emménagé dans une tour géante positionnée sur Stevenson – ils sont de plus en plus nombreux à sauter le pas. Le Français Bertrand Schmitt a par exemple installé le siège d’App Annie au 23 Geary Street. « J’aime être au cœur de la ville », déclare celui qui a écumé quelques-unes des plus grandes métropoles du monde.

C’est dans ce dédale de buildings, où grandit anonymement un nombre croissant de pépites de la tech française, que slalome notre UberPool avant de s’arrêter devant un imposant bâtiment Arts déco. Construit en 1930 par l’architecte américain Timothy Pflueger, la Stock Exchange Tower accueille à discrétion les membres de l’un des cercles privés les plus influents de la ville. Le City Club de San Francisco est en effet réputé pour abriter depuis 1987 les réunions du gotha des businessmen de la Silicon Valley. « C’est un lieu secret où il n’est pas aisé de rentrer si vous n’êtes pas membre ! », confirme Sophie Woodville Ducom, executive director de la Chambre de commerce franco-américaine de San Francisco (FACCSF). Avec Fred Stemmelin, le président, ce sont eux qui ont lancé en 2014 les French American Business Awards (Faba). Ensemble, ils ont décidé d’organiser la seconde édition dans les salons du City Club de San Francisco. Un symbole qui en dit long sur les ambitions de cette cérémonie où chaque année sont distingués les meilleurs parmi les entrepreneurs, les entreprises et les exécutifs franco-américains locaux.

 

« Il y avait du beau monde ! »

Couvert de marbre du sol au plafond, le lobby donne le vertige. L’ascenseur s’élève dans un silence quasi-religieux jusqu’au dixième étage. Lorsque les portes s’ouvrent, l’assemblée est tellement dense qu’il faut se faufiler non sans peine jusqu’au desk. L’événement est sold out depuis cinq semaines. « Il y avait même une liste d’attente de cinquante personnes », s’exclame Sophie Woodville qui n’en revient toujours pas du succès remporté par l’édition 2015. Bien loin des 140 invités rassemblées en toute discrétion l’an passé, la cérémonie accueille ce 27 mai plus de 250 convives. Sans surprise, le public est plutôt masculin. Et si certains ont conservé le style vestimentaire de la Silicon Valley – chemisette et jeans –, la plupart s’est imposé le port du costume. Certaines femmes, aussi rares soient-elles, ont même enfilé la traditionnelle robe de cocktail.

Perchés au dernier étage du Stock Exchange Tower, les Faba ont incontestablement pris de la hauteur. « Il y avait du beau monde ! », rapporte Roland Passot, le parrain de la gastronomie française à San Francisco, qui a raflé le trophée d’or dans la catégorie « Food ». « Des patrons de la tech qui touchent des millions voire des milliards », renchérit-il avec admiration. Le chef du restaurant La Folie côtoie pourtant régulièrement les figures de proue de la Silicon Valley. En février 2014, c’est dans son restaurant que le président Hollande a déjeuné avec les grands patrons de la tech américaine. Une consécration pour ce Français venu tenter sa chance aux États-Unis, il y a près de trente-neuf ans.


« Nice to see you ! », « Hey, comment vas-tu ? », « C’est blindé de monde ! », « Ils ont fait fort cette année », me glisse-t-on. « Bienvenue aux French American Business Awards, mademoiselle, voici votre badge et toutes les informations nécessaires sur la cérémonie. Très belle soirée à vous », décoche dans un sourire ultra-bright un jeune hôte vissé dans un costume cintré. À l’américaine, la mécanique est bien huilée, le parcours bien rôdé. Une fois étiquetée, on nous conduits au photocall où des duos, trios, quatuors éphémères se forment et se séparent à la lumière des flashs crépitants. L’ambiance est conviviale, voire étrangement familiale. « Ici, on célèbre les succès », rappelle Sophie Woodville Ducom. « On veut démontrer aux entrepreneurs français qu’ils peuvent réussir dans la Silicon Valley », renchérit Fred Stemmelin. En 2014, les deux frenchies Jean-Baptiste Rudelle, CEO de Criteo, et Renaud Laplanche, à la tête de Lending Club, ont chacun reçu un prix les désignant comme  Personnality of the Year. Cette année-là, pas moins de huit awards avaient été décernés dans quatre catégories. « La qualité des entrepreneurs et la diversité des expériences m’ont impressionné », remarque Renaud Laplanche qui a une nouvelle fois été plébiscité comme « Personnalité de l’année », au côté de la chef française doublement étoilée Dominique Crenn.

Pour cette seconde édition, la cérémonie s’est étoffée. Cinq catégories ont été ajoutées dont « Start-up of the Year » et « US Investment in France ». Pour Michaël Amar, le fondateur de la start-up Ifeelgoods, « les Faba sont incontestablement un trait d’union franco-américain intéressant ». « Rassembler tous les francophiles pour créer et innover dans la Bay Area, c’est essentiel », poursuit Roland Passot.

 

« Il ne suffit pas de se baisser pour ramasser des billets »

Les Frenchies débarquent, en effet, en masse dans la Silicon Valley. « Toutes les semaines, nous avons entre cinq et dix meetings avec des dirigeants français qui viennent pour sonder l’écosystème », remarque Sophie Woodville Ducom. Depuis quelques années, le phénomène s’est accéléré. « Il y a cinq ans, peu de boîtes françaises venaient s’installer « from scratch ». Aujourd’hui, il y a de plus en plus de jeunes Français qui viennent pour monter directement leur start-up. C’est révélateur », corrobore Michaël Amar, lauréat dans la catégorie « High Tech moins de vingt millions de dollars en revenus ». Aujourd’hui, on dénombre près de 60 000 Français installés dans la région de San Francisco. Parmi eux, deux cents sont entrepreneurs. « Attention à ne pas les confondre avec l’ingénieur informatique qui vient travailler chez Google, met en garde Fred Stemmelin. Un entrepreneur c’est quelqu’un qui prend des risques », assène-t-il. Et le président de la FACCSF de citer Bertrand Schmitt (App Annie), Jean-Baptiste Rudelle (Criteo), Bertrand Diard (Talend) et Jérôme Lecat (Scality) parmi ses références.

Dans la jungle impitoyable et surpeuplée de la tech américaine, il n’est toutefois pas rare de déchanter à vitesse grand V. « C’est un univers compétitif, difficile à appréhender, où les barrières à l’entrée sont tenaces », avertit Sophie Woodville Ducom. Car « si l’argent coule à flots dans la Silicon Valley, il ne suffit pas de se baisser pour ramasser des billets », caricature-t-elle.

 

Partir à l’assaut de la tech américaine implique au préalable de savoir maîtriser les codes et surtout d’apprendre à networker à l’américaine. Et pour cela, mieux vaut être bien accompagné. Depuis quelques années reconnaît le président de la FACCSF, les entrepreneurs français sont mieux préparés quand ils débarquent. Résultat, les Frenchies transforment plus souvent l’essai. Pour M. Stemmelin : « Les taux de réussite augmentent significativement parce que les CEO font le pari de s’installer dans la Silicon Valley. » À l’instar d’Yseulys Costes, fondatrice de 1000mercis en 2000, qui après quatorze ans en France a débarqué avec mari et enfants à Palo Alto. Cette nouvelle aventure, où l’e-entrepreneuse avoue sortir de sa zone de confort, elle la justifie par « le désir de s’internationaliser et de redonner de l’élasticité pour mieux créer de la valeur ».

 

« Ce que la communauté française construit est hallucinant »

À écouter les bâtisseurs de ponts franco-américains, l’écosystème s’est aussi beaucoup structuré. Des dispositifs mis en place par les régions au French Tech Hub, l’offre de soutien est pléthorique. « Mais elle n’en reste pas moins compliquée à appréhender », tempère Sophie Woodville Ducom qui dénonce à demi-mot le manque de clarté de certaines offres de service proposées par des consultants français qui ont pignon sur rue plus ou moins officiellement.


Incubateur, plate-forme de recrutement ou opération marketing pour doper la visibilité sont autant d’outils mis à la disposition des start-upers par la FACCSF. « On s’interroge toujours sur le rôle souvent opaque des chambres de commerce, assène Roland Passot. Là, ce n’est pas le cas : on voit clairement que la FACCSF bat le fer pour construire des passerelles et promouvoir le sens du business dans tous les domaines. » Pour le président Fred Stemmelin, la mission est claire : « Soutenir les entreprises en montrant aux entrepreneurs qu’il y a un chemin à suivre pour réussir. » Plus de 5 000 Français interagissent chaque année avec cette association privée à but non lucratif. Certains, comme les dirigeants de Norauto et Midas, ont bénéficié récemment d’un programme de rendez-vous pour découvrir la région et ses innovations technologiques. D’autres optent pour une formation « business booster » : quinze jours intensifs où les entrepreneurs français apprennent les ficelles pour jump starter (sauter le pas). Mais, tous en conviennent, rien ne vaut la force de frappe d’un bon réseau.


« Au sein de l’écosystème de la Silicon Valley, ce que la communauté française est en train de construire est hallucinant », lâche Jérôme Lecat, vainqueur dans la catégorie « High Tech plus de vingt millions de dollars en revenus ». Et le fondateur de Scality d’ajouter : « On est à peu près un millier de CEO et de VP. On se connaît tous, on s’entraide. Parce qu’il y a cette fraternité, on n’hésite pas à discuter de sujets très confidentiels. Il y a trois ans, cette solidarité n’existait pas. Et nul ne peut nier que la création de la marque French Tech a été un catalyseur. » Si l’entraide au sein de la communauté est une réalité plus que patente, « l’intégration avec l’écosystème américain reste encore compliqué », constate à regret Fred Stemmelin.

 

« Anne Lauvergeon serait présente au dîner »

Dans le grand salon du City Club de San Francisco, alors que la fine fleur de la tech franco-américaine sirote du champagne accompagné de charcuterie et de fromage, la rumeur court. Pas de Lemaire ni de Macron à l’horizon. Mais, il se murmure qu’ « Anne Lauvergeon serait présente au dîner ». Depuis avril 2014, l’ex-patronne du groupe Areva préside le conseil d’administration de Sigfox. Spécialiste en déploiement de réseaux bas débits dédié à l’Internet des objets, la start-up a réalisé sous la houlette d’ « Atomic Anne » une levée de fonds record de cent millions d’euros en février dernier. Un marqueur fort pour les acteurs du secteur. À l’instar du partenariat scellé entre la France et Cisco. En début d’année, le CEO du géant informatique, John Chambers, a promis d’investir cent millions de dollars dans les start-up françaises. L’entreprise américaine est nominée dans la catégorie « US Investment in France » aux côtés d’Intel et de Salesforce, qui rafleront respectivement ce soir-là le trophée d’or et la mention spéciale. Sur les cinq dernières années, Intel a en effet créé mille emplois en ouvrant sept centres de R&D en France. Tout aussi proactive, Salesforce a installé un centre de R&D à Grenoble en 2013 et un nouveau siège à Paris en 2014. Courant 2015, un datacenter devrait voir le jour en France.

 

À notre table, les grands chefs français adoubés à San Francisco discutent à bâtons rompus dans un joyeux franglais. La lumière se tamise. Sophie Woodville Ducom et Fred Stemmelin ne boudent pas leur plaisir de lancer les festivités. Les Américains ont l’art et la manière de savoir célébrer. Les sponsors* de l’événement se succèdent sur scène pour décerner les awards. Si certains ont choisi de rappeler avec sobriété leur soutien à l’écosystème, d’autres n’ont pas hésité à faire le show où à déclarer en alexandrins leur foi en ce leadership entrepreneurial.

 

La salle applaudit à tout rompre. Avec discrétion, Anne Lauvergeon s’est assise à la table d’honneur. Pendant deux heures, les entrepreneurs des start-up sélectionnés par les soixante-quinze membres du jury entrent dans la lumière. « Nous sommes honorés d’avoir reçu ce prix. C’est une fierté de représenter nos compatriotes aux États-Unis », s’enthousiasme Éric Setton, le fondateur de Tango, qui a levé l’an passé 280 millions de dollars, majoritairement auprès du spécialiste de l’e-commerce chinois, Alibaba. Un des juges raconte combien « les délibérations ont été ardues ». Plus de 810 minutes de débats animés ont été nécessaires pour trancher. Il faut dire que les critères sont rigoureux. Les entreprises doivent nécessairement avoir soit un cofondateur français ou franco-américain, soit un CEO français, soit être une filiale locale d’une entreprise française. Les start-up ont ensuite été évaluées sur la qualité de leurs résultats annuels, leur leadership et leurs performances managériales.

 

« Investir très prochainement dans la tech française »

« Je ne pensais pas que la communauté tech française pouvait être aussi vibrante ! », aurait lâché un capital-risqueur de chez Menlo Ventures après avoir assisté au dîner de gala des Faba. Il aurait même ajouté : « Dans mon portefeuille, j’ai déjà une start-up française [ndlr : Scality] mais je vais regarder de plus près cet écosystème pour investir très prochainement. » Quand on évoque cette anecdote avec Fred Stemmelin, il dit « en avoir la chair de poule ». Ce passionné de sports extrêmes habitué des sensations fortes sait de quoi il parle : il est lui-même entrepreneur. Il sait combien il est crucial aujourd’hui de promouvoir la réputation de l’entrepreneur français dans l’écosystème américain et plus particulièrement auprès des VCs. Et de citer en exemple l’entreprise française Business Objects, premier éditeur européen à être coté au Nasdaq en 1994. « Vous vous rendez compte que l’écosystème américain ne savait pas vraiment qu’ils étaient français ! », s’exclame le promoteur des entrepreneurs et des entreprises françaises dans la Silicon Valley. Éric Setton, plébiscite l’initiative : « C’est formidable de voir émerger autant de talents dans une si petite communauté. »

 

En descendant l’escalier presque centenaire qui mène du onzième au dixième étage, notre regard se pose sur l’immense fresque murale peinte en 1931 par le mexicain Diego Rivera, époux de l’artiste Frida Kahlo. Si la toile a été baptisée Riches of California, les locaux, eux, ont coutume de l’appeler Allegory of California. Un glissement qui n’est pas sans rappeler que derrière le mythe mirifique de la Silicon Valley se cache pour les Français une réalité business bien plus cruelle : beaucoup d’appelés et encore trop peu d’élus. De quoi donner envie de se serrer les coudes…

 

Émilie Vidaud (San Francisco, envoyée spéciale)

 

*Les Faba ont été organisés en partenariat avec Leaders League. Les trophées ont été sponsorisés par Capgemini et Dentons, Banque Transatlantique, Bank of the West, NakedWines, BPIFrance, Shasta Crystals.



Retrouvez les interviews et portraits des lauréats des FABA.



CATÉGORIE HIGH TECH  + 20 MILLIONS DE DOLLARS DE REVENUS OU DE FINANCEMENTS 

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2/ Éric Setton fait trembler les géants Skype et FaceTime


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CATÉGORIE SCIENCES DE LA VIE ET BIOTECHNOLOGIE

1/ Jean-Jacques Bienaimé (Biomarin) : « Nous pouvons éradiquer le nanisme »

2/ Addynxx, la start-up qui traite la douleur comme une maladie


CATÉGORIE INDUSTRIE VINICOLE

1/ Philippe Melka : « Faire du vin était un rêve d’enfant »

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PERSONNALITÉ DE L'ANNÉE

1/ Renaud Laplanche : « Une nouvelle catégorie de prêts sera lancée en 2016 »

2/ Dominique Crenn (Atelier Crenn) : « Provoquer une émotion et inspirer les gens »


INVESTISSEMENT AMÉRICAIN EN FRANCE

1/ Stéphane Negre (Intel) : « Le travail de nos équipes en France a été salué »

2/ Salesforce vise le milliard de chiffre d'affaires en France



START-UP DE L'ANNÉE

1/ Pierre Coeurdeuil (Petit Pot) : « Depuis les Faba, un marché gigantesque s’offre à nous »

2/ Code for fun : former des citoyens numériques






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