Un essai qui marque les esprits, un nouvel Astérix meilleur que prévu, un ouvrage de chronique et un roman poignant : découvrez la sélection mensuelle de la rédaction.
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La France comme vous ne l’avez jamais vue

Le titre fait penser à un rapport rébarbatif de l’Insee, la couverture est terne. Mais les 481 pages de cet ouvrage sont un chef-d’œuvre absolu. À la manœuvre, Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop, auteur du best-seller L’Archipel français, et Jean-Laurent Cassely, journaliste spécialisé dans les nouveaux modes de vie. Une association choc qui fait découvrir au lecteur une France jamais analysée de cette manière. Les deux auteurs se basent sur des facteurs a priori sans liens les uns avec les autres mais qui en disent beaucoup sur nous. La mode des tatouages et des marches blanches ainsi que le boom du yoga illustrent la déchristianisation. Le rapport aux États-Unis sert à mettre en avant la fracture entre des classes populaires fans de danse country et des élites amatrices de poke bowls et de diversité. Le développement du constructeur Dacia, du site Le Bon Coin, ou de la marque Le Slip français montrent parfaitement le fossé social grandissant entre classes moyennes supérieures et classes moyennes paupérisées. L’énumération pourrait continuer à l’infini, mais il est temps de conclure par un message simple : lisez cet ouvrage, vous ne serez pas déçus !

La France sous nos yeux : économie, paysages, nouveaux modes de vie,  de Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet, Seuil, 481 pages, 23 euros

Les Gaulois en Terrinconus

Depuis la disparition du duo Goscinny- Uderzo, les aventures des célèbres Gaulois ont perdu de leur génie et oscillent entre le moyen et le bon. Le dernier album est à classer dans la seconde catégorie. Cette fois-ci, Astérix, Obélix, Panoramix et Idéfix mettent le cap à l’Est. Très à l’Est. Plus précisément chez les Sarmates qui vivent dans une steppe gelée ressemblant fort à la Russie. Leur mission ? Aider le chaman local (ami du célèbre druide) à mettre en échec les Romains qui, à la demande de César, cherchent à capturer le Griffon, un animal aussi sacré qu’imaginaire. Les dialogues sont vifs, ciselés et plus subtils que dans les trois dernières aventures. Le géographe romain Terrinconus, ressemblant fort à Michel Houellebecq, est à mourir de rire et les références aux complotistes actuels sont bienvenues. Cet opus se distingue par trois nouveautés : le village breton n’apparaît pas, la potion magique ne sort pas de sa gourde (le liquide est gelé), ce qui oblige Astérix à combattre « normalement » et des protagonistes meurent sous nos yeux. Pour les curieux, il s’agit des légionnaires Perdudvus, Tutevucantabus, Aplusdansbus, Mercidetvenus et Ibernatus.

Astérix et le Griffon, Didier Conrad, Jean-Yves Ferri,  éditions Albert René, 48 pages, 9,99 euros

Regard acéré

Pour piéger les loups, les habitants de l’Arctique enterrent des épées sous la neige, ne laissant dépasser qu’une toute petite partie de la lame. Assez néanmoins pour que les animaux se coupent en la léchant et boivent leur propre sang jusqu’à en mourir. Ce mécanisme, Lola Lafon le compare à ceux des réseaux sociaux et invite leurs usagers à réfléchir au manque de satiété que provoque un Facebook lorsque l’on déroule notre fil d’actualité. Dans Le loup, l’épée et les étoiles, la romancière – par ailleurs musicienne – regroupe ses contributions à l’hebdomadaire Le 1. Sa plume acérée étrille les dérives de la gauche, met en scène le mépris masculin, plonge son lecteur dans l’émotion lorsqu’elle revient sur le viol qu’elle a subi plus jeune. Ce livre attaque la société par la jugulaire. Et le fait avec beaucoup de justesse.

Le loup, l’épée et les étoiles, de Lola Lafon,  L’Aube, 96 pages, 13 euros

Entre deux rives

Une rencontre à l’Académie de la Bière à Paris en haut du boulevard de Port-Royal, des vacances en Italie, un mariage, des voyages inhérents à une vie de marin, l’arrivée des enfants, des instants de  bonheur, des regrets aussi. Mais une vie à s’aimer. Puis, la maladie qui emporte l’être cher. Dans son dernier roman, Bernard Bonnelle – ancien officier de marine qui déroula sa carrière dans l’administration – esquisse par petites touches la vie qu’il partagea avec sa femme, emportée l’an dernier par la maladie. L’art ponctue cette histoire, leur histoire, et semble avoir toute sa place dans le processus de deuil de l’écrivain qui se souvient des vers de Victor Hugo : « Et nous sommes encore tout mêlés l’un à l’autre / Elle demi-vivante et moi mort à demi. » Une navigation entre deux rives avant la résurrection et des retrouvailles dans l’autre monde.

Les noces de Gênes, de Bernard Bonnelle, La table ronde, 96 pages, 11 euros

Philosopher à Trappes : c’est haram ?

Calomnier le porteur d’une mauvaise nouvelle est une technique vieille comme le monde. Dans l’Hexagone du XXIème siècle, celui qui dénonce l’emprise communautariste sur certains aspects de la société est bien souvent trainé dans la boue. Didier Lemaire, professeur de philosophie à Trappes en a fait l’expérience. Pour avoir dénoncé la difficulté à débattre sur certains sujets au lycée, il a été accusé d’être un menteur ou un militant d’extrême droite. Notamment par le maire de la ville des Yvelines. Après avoir témoigné dans les médias grand public, il revient sur le devant de la scène avec Lettre d’un hussard de la République. On y découvre un républicain, un laïque, un homme de gauche investi auprès des élèves et du secteur associatif de la ville. Le décor du livre est conforme à La communauté, enquête de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin qui dévoile comment les compromissions des pouvoirs publics et les petits renoncements quotidiens en transformé la commun en territoire perdu de la République. La plus-value de l’ouvrage réside dans le parcours de vie de l’auteur qui décrit la manière avec laquelle il partage son amour pour la philosophie et pour le théâtre. Et son déchirement de voir son altruisme se heurter progressivement aux dogmes religieux.

Lettre d’un hussard de la République, de Didier Lemaire, Robert Laffont, 220 pages, 18,50 euros